Entretien avec Éric-Emmanuel Schmitt, auteur de Oscar et la dame en rose et de la pièce Le Visiteur, récemment jouée à Tel-Aviv
JÉRUSALEM — Mercredi 21 septembre, Sa Béatitude Pierbattista Pizzaballa, Patriarche latin de Jérusalem, a reçu au Patriarcat latin M. Éric-Emmanuel Schmitt, dramaturge, écrivain et réalisateur franco-belge.
Première visite en Terre Sainte. C’est à la demande du Vatican qu’Éric-Emmanuel Schmitt s’est rendu sur la terre qui a vu naître le Christ, plus de vingt ans après avoir commencé son célèbre Cycle de l’invisible, une série de romans portant principalement sur différents types de spiritualité.
Je n’ai pas choisi, j’ai été choisi. Lorenzo Faccini, qui travaille au Vatican, m’a contacté pour me proposer d’aller en Terre Sainte et de revenir avec le journal de mon voyage. Il s’agit de mon tout premier séjour dans le pays ; auparavant j’ai eu de multiples occasions de venir, mais, pour plusieurs raisons, elles n’ont jamais abouti. En général, il m’est difficile de trouver un moment dans l’année pour faire un séjour à l’étranger de plusieurs semaines sans interruption. Cette année, je n’avais qu’une seule disponibilité, celle du mois de septembre.
En réalité non… tout simplement parce que je ne sais pas encore ce que je vais écrire ! Aujourd’hui je ressens surtout des émotions, certaines profondément personnelles, mais que je raconterai parce que je veux que mon voyage soit subjectif — de toute façon, comment pourrait-il en être autrement ? Car Jérusalem n’est pas une ville, elle est plusieurs villes, elle n’a pas une histoire, elle constitue un mille-feuille d’histoires, et l’on y arrive riche ou pauvre de ce que l’on est. Le livre que je vais rédiger sera donc un voyage très personnel, très existentiel, et très spirituel aussi, parce que ma foi a été enrichie dès mon arrivée sur cette terre. En revanche, la forme qu’il prendra exactement, je ne la connais pas. J’ai toujours besoin que les livres aient une forme organique ; issu de la philosophie et du théâtre, j’aime que les choses soient construites, même si elles paraissent effeuillées au premier abord. Il faut que se dessine un chemin, et dans mon cas, ce chemin n’est encore ni tracé ni terminé.
D’abord être pour la première fois dans un lieu multireligieux. Quand on va à Lourdes ou à la Mecque, on est dans un espace monoreligieux. Ici, plongé dans ce plurireligieux, je vis une expérience très forte parce que je me trouve à la fois familier et étranger. En même temps, je sens bien que la foi profonde d’un musulman ou la foi profonde d’un juif est proche de ma foi profonde de chrétien. Je suis touché par des points communs, ce que nous partageons, mais aussi — et c’est le deuxième élément marquant — par le sentiment d’être minoritaire. Certes, aujourd’hui en France, nous commençons à nous sentir minoritaires, nous, les croyants. Mais ici, je me sens minoritaire en tant que chrétien. En France ou en Belgique, malgré l’évolution actuelle de la société, je baigne dans une civilisation formée par le christianisme. Ici, non. Et cela me permet de ressourcer ma foi, de la recentrer, la redéfinir. Je ne me suis jamais autant interrogé sur la différence entre les fois juives, les fois musulmanes — car il y en a plusieurs ! — qu’ici, parce que ma foi chrétienne est interrogée, sommée de se définir. Elle s’en est retrouvée fortifiée. Ici… j’ai senti la présence de Jésus comme jamais dans ma vie. Mon adhésion personnelle au christianisme s’est forgée à travers la lecture des Évangiles. Pouvoir ressentir la présence du Christ pas seulement dans les textes mais également physiquement, par les sens, voilà ce que m’offre Jérusalem et que je n’attendais pas. J’avais prévu toutes sortes de réactions mais pas celle-ci. J’ai été pris de court. Ravi.
J’ai apprécié la rigueur et la modestie de son discours. La rigueur parce qu’il s’est exprimé avec une grande profondeur, véritablement nourrie par la connaissance des textes, des hommes et de l’histoire. Et, en même temps, la volonté qu’il a de parler aux autres religions est quelque chose que je ne constate pas souvent. Je pense que c’est ce dont nous avons besoin.
J’ai aussi aimé sa manière d’éviter l’opposition frontale, de traiter les problèmes d’une façon souple, sans affronter l’autre, sans le brusquer ou l’irriter. Il a démontré un sens de la diplomatie absolument remarquable. J’ai été tout à fait impressionné par cette rencontre. Et puis, je vais aussi mentionner son sourire. J’apprécie beaucoup le sourire chez quelqu’un qui a la foi, parce que, pour moi, la foi est synonyme de joie. Et je crois que la meilleure manière d’amener l’autre vers cette foi, c’est en diffusant cette lumière-là.
Il y en a tellement… Si j’ai accepté la proposition du Vatican de venir ici, c’est d’ailleurs en partie parce que M. Faccini a proposé d’organiser des rencontres. Pas seulement avec le Patriarche, mais aussi avec le P. David Neuhaus, par exemple, qui a un parcours véritablement passionnant… Nous avons parlé de l’Ancien Testament, sur lequel je travaille beaucoup. Puisque ce texte me pose de multiples problèmes d’interprétation, je lui ai soumis quelques opinions qu’il a pris le temps d’écouter. Il m’a aussi proposé d’autres voies de lecture, par exemple pour le livre de Josué que je n’arrive absolument pas à comprendre. C’était très intéressant. Je suis d’ailleurs parti avec certains de ses articles.
Ces discussions que j’ai eu la chance d’avoir ont également été enrichies par ma rencontre avec Vincent Lemire, historien au CNRS. Je connaissais déjà ses livres, mais le rencontrer m’a permis de découvrir une autre Jérusalem, une Jérusalem géographico historique. Il a rédigé sa thèse sur l’histoire de l’eau dans la ville sainte – La soif de Jérusalem - et ses travaux sont vraiment remarquables. Moi qui aime porter un regard historique sur les choses, j’ai éprouvé un véritable plaisir à discuter avec lui.
J’ai également fait d’autres rencontres, toutes riches, parfois plus personnelles, non seulement grâce à mon propre réseau de connaissances mais aussi par hasard. Je suis plus dépourvu côté Palestiniens musulmans, mais mon séjour n’étant pas encore terminé, peut-être que des occasions se présenteront.
Cela me fait d’ailleurs penser à une chose dite par le P. Neuhaus : la distinction entre les territoires et la frontière. J’étais arrivé avec l’idée que ce qui fait souffrir Jérusalem, c’est la territorialité, c’est-à-dire la volonté qu’une terre appartiennent à un tel ou un tel, l’objet de tous les combats depuis des siècles. Mais le P. Neuhaus m’a fait remarquer que le problème n’était pas tant la territorialité que la frontière que l’on cherche à imposer à l’autre. Sur le coup, je me suis dit que c’était non seulement juste, vrai, mais aussi, peut-être, la voie de l’avenir.