Les chrétiens d’Orient aujourd’hui - Appréhensions et espérances

Publié le: August 03 Fri, 2018

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MOYEN-ORIENT – Les chefs des Eglises chrétiennes s’adressent à leurs frères, à tous les peuples de la région, à l’Occident politique et à Israël. Ils en appellent aux hommes de paix et de bonne volonté.

Les chrétiens d’Orient aujourd’hui

       Appréhensions et espérances

Nous sommes pressés de toute part, mais non pas écrasés; ne sachant qu’espérer, mais non désespérés.” (2 Cor 4,8).

Onzième lettre pastorale

Fête de la Pentecôte

20 Mai 2018

Introduction

A nos frères évêques, prêtres, diacres, religieux et religieuses, et à tous nos fidèles bien-aimés, dans toutes nos éparchies, en Orient et dans les pays d’émigration.

1“A vous grâce et paix de par Dieu, notre Père, et le Seigneur Jésus Christ!” (1 Cor 1,3).

Nous vous adressons cette lettre en la fête de la Pentecôte, après avoir célébré la Pâque glorieuse de Notre Seigneur Jésus-Christ et son triomphe sur la mort et sur le mal. Nous avons besoin en effet de contempler le Christ Ressuscité, et de demander à l’Esprit Saint de  nous remplir de sa force et de renouveler notre foi, en ce temps où nous nous voyons submergés par le mal de la guerre et de la mort dans toute la région.

Dans beaucoup de nos pays, nous voyons mort et destruction, en raison d’une politique mondiale, économique et stratégique, visant à créer un « nouveau Moyen-Orient. »

Tous, chrétiens et musulmans, nous sommes tués ou forcés d’émigrer, en Iraq, Syrie, Palestine et Libye. Aucun pays arabe ne connaît la paix ou la stabilité.

Plusieurs parient aujourd’hui sur notre disparition ou la réduction dramatique du nombre de nos fidèles. Quant à nous, nous continuons à croire en Dieu, Seigneur de l’histoire, qui veille sur nous et sur son Église en Orient. Nous continuons à croire dans le Christ Ressuscité, et en son triomphe sur le mal. En Orient, il restera toujours des chrétiens qui proclameront l’évangile de Jésus-Christ, témoins de sa Résurrection, même si nous ne resterons qu’un petit nombre. Nous resterons « sel, lumière et levain » (cf. Mt 5,13.14; 13,33), comme le Seigneur Jésus-Christ nous l’a dit. Il nous avait prédit également: « Dans le monde vous aurez à souffrir. Mais gardez courage! J’ai vaincu le monde… Que votre cœur ne se trouble ni ne s’effraie » (Jn 16,33; Jn 14,27).

  1. Frères et sœurs, nous vous adressons cette lettre, après notre rencontre annuelle à la Résidence Patriarcale de Dimāne (Liban), du 9 au 11 août 2017, où nous avons été les hôtes de notre frère, le Patriarche Cardinal Bishara Boutros Raï. Nous l’adressons à vous, nos fidèles, à nos pays, à tous nos concitoyens chrétiens, musulmans et druzes, à nos gouvernements, et aussi aux responsables politiques en Occident, qui ont décidé de créer un nouveau Moyen-Orient, et pensent avoir le droit de décider de nos destinées, grâce à leurs puissances matérielles ou militaires.

Dans cette lettre nous adressons trois messages: le premier, à nos fidèles, le deuxième, à nos concitoyens et aux gouvernants de nos pays, et le troisième, à ceux qui en Occident décident de la politique du Moyen-Orient et à Israël.

 

Chapitre premier

Message à nos fidèles

Des temps difficiles

  1. Nous savons qu’il est difficile d’adresser une parole à nos fidèles qui ont subi de multiples épreuves, ont pleuré la mort de leurs proches ou ont été dispersés de par le monde. Face à tant de souffrances, la parole la plus éloquente est le silence. Silence aussi devant le mystère de Dieu, et de son amour pour toutes ses créatures, un mystère que nous n’arrivons pas à comprendre, avec tout le mal qui nous envahit.

Silence et respect face aux épreuves subies par nos fidèles, avec eux nous faisons nôtre le cri du psalmiste: «Jusqu’à quand, Seigneur? » « Seigneur, Dieu, reviens enfin, observe des cieux et vois, visite cette vigne: protège-la, celle que ta droite a planté » (Ps 4,6; 80,15).

Silence, prière, et abandon et soumission à la volonté de Dieu. Nous remercions en même temps Dieu pour toute chose, pour sa Providence qui veille sur l’Église d’Orient, sur chaque personne d’entre nous, et sur le monde entier.

Entourés de sang et de destruction, dispersés de par le monde, nous méditons les paroles du Christ, qui nous a prédit que nous aurions à affronter les difficultés et les persécutions: « On vous exclura des synagogues. Bien plus, l’heure vient où quiconque vous tuera pensera rendre un culte à Dieu » (Jn 16,2). Et aussi: « Vous serez traduits devant des gouverneurs et des rois, à cause de moi » (Mt 10,18). Mais il nous a dit aussi que l’Esprit serait avec nous: « Lorsqu’on vous conduira devant les synagogues, les magistrats et les autorités, ne cherchez pas avec inquiétude comment vous défendre ou que dire, car le Saint-Esprit vous enseignera à cette heure même ce qu’il faut dire » (Lc 12,11-12).

Telle est notre situation, comme celle du psalmiste qui avait déjà dit: « C’est pour toi qu’on nous massacre tout le jour, qu’on nous traite en moutons d’abattoir » (Ps 44,23; cf. aussi Rom 8,36). Et Saint Paul: « Chaque jour je suis à la mort » (1 Cor 15,31). Mais l’apôtre nous adresse aussi une parole d’encouragement: « Nous sommes pressés de toute part, mais non pas écrasés; ne sachant qu’espérer, mais non désespérés » (2 Co 4,8). Inspirés par ces paroles divines de l’Écriture, nous définissons nos attitudes humaines, dans nos Églises et dans nos pays. Et, au milieu des difficultés, avec le psalmiste encore, nous renouvelons notre foi: « Je crois lors même que je dis: je suis trop malheureux » (Ps 116,10).

Nous croyons, bien que nous sachions que la foi est difficile, alors que les ténèbres et les injustices de ce monde nous submergent.

Nous voyons la terre pleine de misères. Nous voyons la cruauté des hommes, les uns à l’égard des autres, et à notre égard. Nous vivons un temps de mort et de martyre. Face à cela, nous regardons la bonté de Dieu, nous lui demandons la force et le pouvoir d’accueillir sa grâce. Nous lui demandons de nous accompagner à l’heure du martyre lorsqu’elle se présentera. Nous lui demandons de nous accompagner, si nous restons dans nos maisons, si nos églises sont détruites, et si nous sommes dispersés dans le monde. Nous lui demandons la force de rester fermes dans notre foi, et dans notre confiance en sa bonté. Malgré la mort qui nous menace, nous croyons que Dieu ne cesse de nous envoyer dans nos pays ou dans le monde, portant en nous une parcelle de sa bonté divine, de sa force, et de son amour pour le monde entier.

Émigration

  1. En certains de nos pays, nous voyons l’émigration forcée de nos fidèles, dues aux épreuves inhumaines qu’ils ont connues. Nous remercions les pays, les Églises, les organisations de secours internationales, qui ont accueilli nos fidèles et leur ont offert l’aide nécessaire pour leur assurer une vie humaine digne. Mais nous redisons à tous, surtout aux politicens, que la meilleure aide à apporter à nos fidèles est de leur permettre de rester chez eux, dans leurs pays, de ne pas susciter les troubles politiques et les diverses violences qui les forcent à émigrer.

Il y a aussi une émigration de chrétiens dans d’autres pays, où la situation est relativement tranquille, mais qui sont également touchés par le climat de guerre et d’instabilité politique générale dans la région. A tous nos fidèles, nous redisons l’importance de la présence chrétienne en Orient, et de la présence de chacun et chacune de vous dans vos pays où Dieu vous a appelés et vous a envoyés. Dans les temps difficiles, vos pays et vos Églises ont besoin de vous. Nous vous disons de résister autant que vous le pouvez à la tentation de l’émigration, et de continuer à vivre votre mission dans vos pays et vos Églises. L’avenir de nos Églises, et de la présence chrétienne en général dans la région, dépend aussi de votre décision de partir ou d’accepter la volonté de Dieu en demeurant là où Il vous a appelés.

Nos martyrs

  1. De nos morts, de nos martyrs et de la cruauté des hommes à notre égard, nous apprenons deux choses. Premièrement, nous restons des messagers porteurs de vie dans nos pays et nos sociétés. Deuxièmement, si la mort est une réalité, pour le croyant, la vie aussi est une réalité et elle finira par l’emporter sur la mort. La vie totale, la « vie abondante » (Jn 10,10) que le Christ est venu nous offrir et nous rend capables de le communiquer aux autres. Dans les multiples difficultés, nos corps sont tués, mais le message demeure. Nous restons porteurs d’un message, ici et sur les routes du monde. Ici, nous contribuons à la construction de nos sociétés, et sur les routes du monde, là où nous parvenons, nous portons l’évangile de Jésus-Christ.

Nous ne désespérons pas, nous ne prenons pas la fuite loin d’un monde où règne la mort. Les meurtriers eux-mêmes ont besoin de sel et de lumière, afin de devenir eux aussi capables d’ouvrir les yeux et de sortir de leur aveuglement et de leur inhumanité. Nous ne prenons pas la fuite devant les meurtriers dans nos sociétés, ou dans le monde. Nous essayons plutôt de les rendre à la vie, parce que en nous tuant ils se tuent eux-mêmes. La mission de nos Églises, et de tous nos fidèles, est une mission difficile, sanglante. Elle consiste à rendre la vie à une génération de morts, de rendre la bonté de Dieu à ceux qui s’en sont privés, de rendre la vue à ceux qui l’ont perdue et sont devenus incapables de voir l’amour de Dieu et des enfants de Dieu.

Que nous disent nos martyrs?

  1. Ils nous disent une parole de vérité à nous, chrétiens. Dieu a voulu que nous recevions en ce 21ème siècle le baptême du sang.

Nos martyrs nous disent de renouveler notre amour les uns pour les autres, même si nous sommes encore séparés par des structures externes qui se sont constituées à travers les siècles. Même si nos différences persistent dans notre manière de comprendre et d’exprimer la foi en l’unique Seigneur Jésus-Christ. Un seul amour dans nos Églises, une seule voix pour le pauvre, l’opprimé, et pour la paix, un même engagement dans nos sociétés dans lesquelles le Seigneur nous a placés et nous a envoyés pour les construire, et pour y commencer une nouvelle phase de notre histoire. Notre contribution à nos sociétés consiste à y rendre Dieu plus présent, à y mettre plus d’amour et de paix.

Nos martyrs ont donné leur vie pour Jésus-Christ, et pour la vie de nos Églises et de nos pays. C’est pourquoi, nos Églises élèvent ensemble leurs louanges à l’unique Seigneur Jésus-Christ, et marchent vers plus d’unité entre nous, et dans nos sociétés. Après avoir été baptisées dans le sang de nos martyrs, il est du devoir de nos Églises de se renouveler, afin de devenir source de vie pour tous.

Nos martyrs nous disent de renouveler notre prière, afin qu’elle soit, à la fois, un culte rendu à Dieu et un amour du prochain, amour des plus proches, comme des plus éloignés, amour de toutes nos communautés et de toutes nos sociétés. Notre prière ne restera pas entre les murs de nos églises, mais s’étendra à toutes nos relations mutuelles, et à nos sociétés. Notre prière s’étendra à tous les besoins matériels et spirituels de tous. Cela implique aussi un renouveau dans nos traditions, nos liturgies et nos dévotions, afin qu’elles deviennent une nourriture qui transforme notre vie quotidienne et nous aide à porter notre mission dans le monde.

Le sang de nos martyrs est une semence pour un renouveau dans nos Églises, dans nos fidèles, dans nos prêtres, évêques et patriarches. Bien que le chemin ouvert par le sang de nos martyrs soit long et difficile, nous nous y engageons. Avec eux nous marchons, les yeux fixés au ciel, nous rappelant notre vocation véritable, comme chrétiens et comme êtres humains créés à l’image de Dieu: « Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait » (Mt 5,48). La voie de la perfection est aussi une voie longue et difficile. C’est pourquoi, pendant que nous avançons dans la voie de la perfection, nos martyrs nous disent aussi de savoir nous préparer au baptême du sang.

A leurs persécuteurs, à leurs meurtriers proches ou lointains, à visage découvert ou voilé, nos martyrs disent: pour vous aussi, nous avons donné notre vie, afin que vous aussi vous deveniez capables de voir Dieu et les enfants de Dieu, afin de voir Dieu dans chaque être humain, qu’il soit de votre religion ou de toute autre religion. Ouvrez vos yeux et vos cœurs à la vie. Retrouvez votre liberté, ne restez pas en même temps meurtriers et victimes de votre propre mal. Ne restez pas persécuteurs de vos frères, et esclaves du mal qui est en vous.

Le sang de nos martyrs annonce une vie nouvelle, la naissance d’un homme arabe nouveau, chrétien, musulman et druze. Pour la gloire de Dieu, ils sont morts, et pour leurs Églises et leurs sociétés arabes, ils sont devenus une bénédiction. Le nombre des chrétiens diminue, mais le sang des martyrs est semence de vie et de grâce. Le nombre diminue mais la grâce surabonde.

Au milieu des difficultés et de la mort, nous nous souviendrons toujours de la bonté et de la miséricorde de Dieu. Nous rappelons cela à ceux qui nous tuent, car eux aussi, malgré tout le mal en eux, ont en eux quelque chose de la bonté de Dieu. Eux aussi sont capables d’aimer. Dieu n’a pas créé l’homme pour la mort, sa propre mort ou celle des autres. Il l’a créé pour être frère et sœur de tous et de toutes, quels qu’ils soient, et de quelque religion qu’ils soient. Créés à son image, nous sommes capables de vivre et d’aimer comme lui.

Chapitre DEUXIÈME

Que disons-nous à nos concitoyens

et à nos gouvernants?

Notre réalité

  1. Notre réalité est, d’un côté, prospérité, richesse, édifices élevés, et un semblant de paix. Il y a beaucoup de bien, beaucoup de religion, beaucoup de science et beaucoup d’argent. D’un autre côté, beaucoup de pauvreté, et dans certains de nos pays, beaucoup de sans-logis. Du point de vue religion, pour plusieurs, nos méthodes d’éducation religieuse sont un terrain fécond pour l’extrémisme ou le confessionnalisme fermé et sectaire. Sur le terrain, comme dans les âmes, domine une situation de guerre ou de sédition. Dans certains de nos régimes politiques, il y a peur de la liberté des personnes. Nos pays sont en route vers une stabilité non encore réalisée. Des guerres nous ont été imposées de l’extérieur et de l’intérieur. Et l’avenir nous reste inconnu.

Nos chefs politiques

  1. Nous remercions nos chefs politiques pour leurs efforts déployés au service de nos peuples. Mais nous leur rappelons aussi ce que nous venons de dire plus haut. Le chemin qui nous sépare de la « cité vertueuse » reste encore long. Nous ne cessons de souffrir de la pauvreté, de la corruption, de la limitation des libertés, du confessionnalisme et des guerres. Tout cela aurait déjà dû être dépassé.

Nous sommes pleinement conscients des difficultés et de la complexité de la situation. Quelles que soient les difficultés ou la complexité, le mal et la corruption doivent cesser. Et cela est possible. Le gouvernement est un service à la communauté et exige un effort pour l’amélioration de ses conditions de vie. Il a pour but d’assurer à chaque citoyen une vie digne et libre, au niveau matériel et spirituel, comme au niveau des libertés. Tout cela, nous sommes capables de l’atteindre. Nous en sommes cependant encore très loin.

Détachement et bien commun

  1. Les vrais chefs sont désintéressés. Ils sont serviteurs, cherchant le bien des personnes et des communautés. Saint Paul dit: « Je ne recherche pas mon propre intérêt, mais celui du plus grand nombre, afin qu’ils soient sauvés » (1 Cor 10,33). Par ses paroles, Saint Paul exhortait ses fidèles à « imiter Dieu ». Il est bon et même nécessaire que les chefs politiques entendent cette parole: ne pas rechercher leur intérêt propre mais celui des autres. Il est nécessaire que le gouvernant recherche l’intérêt du peuple dont il a reçu le mandat pour le gouverner. L’autorité est un service pour l’édification de la communauté.

Nous disons à nos autorités: écoutez la voix des pauvres. Un bon gouvernant est celui qui déracine la pauvreté. Dans nos sociétés, il y a de grandes fortunes; il y a aussi le savoir et la capacité d’organiser. La pauvreté, dans nos sociétés où se trouvent tant de ressources et de richesses, est un signe de l’insouciance ou de l’incapacité de l’autorité. La pauvreté existe quand un frère ne voit pas son frère. Elle est la conséquence inévitable d’un gouvernant qui recherche son propre intérêt, non celui de la communauté.

Dans nos pays riches en ressources, pourquoi la pauvreté reste-t-elle encore parmi nous? Est-ce un manque « d’humanité » en nous? Est-ce l’égoïsme et l’incapacité de nos riches ou de nos chefs politiques de sortir de leur égo pour penser aux autres?

Ou bien, peut-être que la religion, malgré son omniprésence, est en réalité absente? En effet tout l’Orient, chrétien ou musulman ou druze, est religieux, ou disons plutôt fermement attaché à sa communauté religieuse. La religion est présente, mais souvent Dieu n’est pas présent. Il peut arriver en effet que, malgré la fidélité aux pratiques rituelles religieuses, Dieu soit absent. On est religieux, on va à l’église ou à la mosquée, mais on néglige le pauvre qui est créature et enfant de Dieu. Oui, les aumônes sont fréquentes. Certains même construisent une église ou une mosquée. Nos pays et sociétés, où il y a beaucoup de richesses et beaucoup de pauvres à la fois, ont besoin de plus que cela. Ils n’ont pas besoin seulement d’aumômes, mais de justice sociale, d’une économie juste qui assure la dignité humaine à chacun. La pauvreté dans nos pays rappelle à tous ceux qui ont les fortunes, aux gouvernants, aux responsables de l’économie, que nos pays ont besoin de quelque chose qui dépasse « l’aumône ». Ils ont besoin de systèmes et de plans économiques, capables de distribuer et d’organiser les richesses du pays, et même des individus, afin que personne dans le pays ne reste dans le besoin. La religion est très présente, mais il nous faut rendre Dieu lui-même présent, Dieu miséricordieux, qui nous dit qu’Il a donné à tous la même dignité humaine. Cela exige une meilleure compréhension de la religion. Cela exige des chefs qui savent être serviteurs, qui agissent pour les autres et assurent la vie digne à tout citoyen. Et que personne ne dise: les choses sont difficiles et compliquées. Que les responsables fassent plutôt un effort pour voir et reconnaître qu’il y a des intentions qui sont franchement mauvaises et qu’il n’y a pas la bonne volonté pour établir une justice sociale.

Cette question de la pauvreté concerne nos Églises également, à savoir nous tous, en premier lieu, les pasteurs, évêques, prêtres, religieux et religieuses. Nous pouvons en effet entreprendre une action pour réclamer et établir une meilleure justice sociale. Et nous pouvons aussi donner l’exemple dans notre manière de posséder et d’user des richesses de ce monde. Les pauvres dans nos sociétés, nous invitent tous, responsables religieux et politiques, à un examen de conscience sur notre attitude face à l’argent, et sur notre action ou notre insouciance, face au cri des pauvres.

La liberté

  1. Écoutez la voix des opprimés, qui ont été privés de leur liberté. «Aimez la justice, vous qui jugez la terre» (Sag 1,1). Il est du devoir des autorités politiques de former un gouvernement fort, et de procurer à tous la sécurité et la tranquillité. Mais il n’est pas permis, quel que soit le régime, que le gouvernement devienne dictature et tyrannie. Il n’est pas permis d’humilier la personne humaine, ou de la tuer à cause de sa liberté, laquelle a certes ses limites, qui sont le bien des personnes et des communautés.

Un bon gouvernant ne craint pas la liberté ni l’opposition. Au contraire il s’y appuie, et les prend pour guide, afin de mieux assurer le bien commun.

Il est certes difficile de respecter pleinement la liberté humaine. Mais, celui qui a accepté de gouverner doit être capable de faire face à toute difficulté, sans tomber dans les injustices. Il doit savoir comment traiter avec la liberté des personnes sans les opprimer. Un bon gouvernant se révèle par sa capacité de traiter avec la liberté des personnes et des groupes, y compris les partis politiques et tous ceux qui lui sont opposés dans leurs idées. Il n’a pas le droit de jeter dans les prisons les penseurs et les personnes libres du peuple, pour l’unique raison de leur appartenance à l’opposition. Même dans les prisons, la dignité de la personne humaine est à respecter. Les différences d’opinions ne peuvent pas être corrigées par l’écrasement de la personne humaine, soumise à Dieu seul, et non à la tyrannie d’un dictateur.

Face à la politique mondiale

  1. Nous voulons des chefs politiques indépendants face aux pressions et aux plans externes. Nous savons que les pressions de toutes sortes sont nombreuses. Elles constituent des fardeaux lourds à porter, limitent la liberté des gouvernants et vont à l’encontre du bien de leurs peuples.

C’est pourquoi, il nous faut des chefs politiques forts. Et c’est dans le peuple qu’ils trouveront leur force, si toutefois ils savent respecter sa liberté et sa dignité. Soutenus par leur peuple, les chefs peuvent faire face à toutes les pressions externes mondiales, et aux grandes puissances qui prétendent changer notre Moyen-Orient à leur gré.

Il nous faut des chefs qui, soutenus par leur peuple, pourront faire face aux puissants de ce monde et traiter avec eux d’égal à égal; ils ne craignent aucune menace militaire ou économique.

Un peuple respecté par ses chefs, est la force de ses chefs et la source de leur liberté de décision face à toute agression de l’extérieur, et face à toute tentative de destruction ou de séditions et de guerres civiles, comme nous l’avons vu et nous le voyons encore dans nos différents pays.

La région a besoin de chefs qui soient des artisans de paix pour leur pays et pour les pays voisins. Ils rejettent toute incitation à la guerre qui leur vient de l’extérieur, ainsi que les alliances contre le bien de leurs peuples ou des pays voisins. Nous voulons des chefs libres, aux mains propres, qui puissent sortir la région de ses multiples guerres et y établir une paix stable et définitive.

L’État séculier

  1. Nous attendons de nos chefs qu’ils construisent un État séculier, fondé sur l’égalité de tous ses citoyens, sans discrimination sur la base de la religion ou pour toute autre raison. Un État dans lequel tout citoyen a le sentiment d’être chez lui, égal à tous, et ayant les mêmes opportunités de vie, de gouvernement, ou de travail, quelle que soit sa religion. Tous se sentiront frères dans la même patrie, avec les mêmes devoirs et les mêmes droits.

L’État séculier sépare religion et État, mais il respecte toutes les religions et les libertés. Il s’efforce de mieux comprendre le fait religieux dans nos pays, avec ses composantes, christianisme, islam, et druzes, sans les laisser se transformer en confessionnalisme religieux ou politique. Cela requiert deux choses: d’abord, apprendre, nous, chrétiens et musulmans et druzes, comment vivre ensemble, comment créer l’État moderne ensemble et, deuxièmement, comment former nos générations par une nouvelle éducation fondée sur les mêmes principes: respect mutuel, collaboration et destinée commune, dans le pays où Dieu nous a envoyés.

C’est pourquoi, nous voulons des chefs politiques qui aient le courage d’entreprendre une nouvelle éducation à la vie politique, à la formation de la personne humaine et d’un nouveau citoyen. Nous voulons une autorité qui forme des êtres humains qui tendent à leur perfectionnement et à celui de leurs frères et de toute la patrie. Des citoyens et des croyants qui ne soient pas renfermés sur eux-mêmes, mais soient ouverts et capables d’embrasser tous leurs frères et sœurs, et le monde entier.

Les chefs religieux

  1. Nous voulons des chefs religieux qui aient des visions nouvelles, des chefs religieux chrétiens, musulmans et druzes, unis par la foi en un Dieu un et unique, miséricordieux, ami des hommes. Des chefs qui contribuent au même effort, visant à former des croyants qui s’aiment les uns les autres, quelle que soit leur religion respective.

Nous condamnons les guerres religieuses du passé, nous les laissons à l’histoire, et nous en demandons pardon à Dieu. Nous lui demandons de nous éclairer afin de façonner ensemble notre nouvelle histoire, et de nous donner la force de marcher dans sa lumière et sa miséricorde, afin que la religion reste, à l’image de Dieu lui-même, une religion d’amour et de miséricorde pour toutes ses créatures.

Dans notre réalité quotidienne existent dialogue et acceptation mutuelle. Mais il y a aussi le contraire. Il existe toujours des courants religieux opposés à la collaboration et à l’égalité entre les croyants des différentes religions. Il y a un refus de l’État séculier et de l’égalité des citoyens. L’extrémisme religieux et l’exclusion se trouvent encore dans les cœurs de plusieurs. Nos blessures en Iraq et Syrie sont encore ouvertes. Les attaques contre les églises en Égypte ne cessent de se répéter. Il y a parmi nous, aujourd’hui encore, des fanatismes religieux qui séparent les croyants au nom de Dieu, un et unique et aimant toutes ses créatures, quelle que soit leur religion. Il y a aussi ceux qui tuent au nom de Dieu.

Dans les cœurs de certains chrétiens s’est formée aussi une réaction de caractère confessionnel qui n’est pas chrétienne, et qui démontre un sentiment de désespoir et de refus de l’autre.

Face à ces réalités, nous nous arrêtons, nous réfléchissons et nous faisons un examen de conscience, afin de redéfinir ensemble nos attitudes, et de renouveler notre foi en Dieu, amour et miséricorde. Nous renouvelons notre amour pour Dieu et les uns pour les autres. Nous nous décidons de changer les attitudes anciennes qui divisent, et nous les remplaçons par l’amitié et le respect mutuel.

Les chefs religieux sont eux aussi « serviteurs » des autres et non d’eux-mêmes. Ils marchent et guident les croyants dans les voies de Dieu, à savoir l’amour et la miséricorde. Ils portent la responsabilité de la formation de personnes humaines nouvelles, fortes, miséricordieuses, aimant tout le monde, de toute religion. De fait, ils sont capables de former une génération de croyants qui donnent la vie, et non la mort; ils sont capables de former des croyants sincères, miséricordieux et non meurtriers.

L’amour du chef religieux embrasse certes les croyants de sa communauté, mais il va au-delà. Car l’amour n’a pas de frontières. Il est universel comme l’amour que Dieu porte à toute sa création. Notre Moyen-Orient, saturé de sang et de mort, a besoin de chefs religieux qui le guident dans les voies de la vie. Aussi nous faut-il des chefs religieux qui aient le courage de résister à toutes les forces de discrimination et de mort, encore agissantes dans nos sociétés, qu’elles proviennent de nous-mêmes ou de l’extérieur et de courants qui ont une grande puissance de destruction.

Nous avons besoin de chefs religieux capables de compatir aux souffrances de tous, de les porter en eux-mêmes et d’enseigner que les souffrances ne sont pas pour la mort, mais une voie pour une vie nouvelle, à l’exemple de la Croix de Notre Seigneur Jésus-Christ, qui fut une voie de la mort à la résurrection. Toute vie humaine a un caractère pascal, elle est un passage continuel de toute forme de mort à la vie, elle est victoire continuelle sur le péché et le mal, jusqu’à ce qu’elle parvienne à la vie nouvelle.

Les chefs religieux laissent à l’État son indépendance dans ses affaires. Ils enseignent et rappellent les grands principes de la morale. Par leur enseignement, ils soutiennent l’État dans toute action juste, menant à une vie digne et tranquille de la communauté. Ils lèvent la voix pour défendre les pauvres, les opprimés. Ils vont à la recherche de toutes les personnes opprimées ou qui sont dans le besoin, afin de leur rendre justice et de leur procurer une vie digne. Ils défendent les libertés, et enseignent, en même temps, aux croyants comment user de leur liberté, non pour discriminer entre les croyants, ni pour porter préjudice à la société, ni pour opprimer, mais pour construire ensemble.

Une nouvelle éducation

  1. Tout ce que nous venons de dire montre que nous avons besoin d’une nouvelle éducation, pour former un être humain nouveau. L’État en porte la responsabilité, de même que l’église et la mosquée. Tout chef religieux, en toute religion, en est responsable. Nous avons besoin d’une nouvelle éducation fondée sur la miséricorde et l’amour, sur l’égalité et la même dignité donnée par Dieu à tous.

Lorsque nous arriverons à former cet homme nouveau, nous formerons aussi un nouveau croyant, capable de voir Dieu, Créateur, miséricordieux et ami des hommes. Une nouvelle société aussi naîtra basée sur la justice, la liberté et la collaboration. Avec un nouvel être humain, naîtra un État nouveau pour tous ses citoyens, quelle que soit leur religion.

Une éducation religieuse saine, pour le chrétien et le musulman, chacun dans sa religion, rend possible un projet national nouveau dans lequel chacun et tous sont également des êtres humains et des citoyens, tous croyants et fidèles, chacun à sa propre religion. Un projet national crée une patrie pour tous et au-dessus de tous. C’est un slogan que nous entendons souvent, mais jusqu’à maintenant, nous n’avons pas pu le réaliser. L’union et l’égalité ne sont pas encore suffisamment réalisées. Il y a encore parmi nous des discriminations, des préférences des uns sur les autres, pour cause de religion ou de liberté. Dans nos pays, il y a même encore des injustices et du sang qui coule, il y a des tortures dans les prisons en raison des libertés revendiquées. Il faut nous rappeler les maux qui existent encore afin de ne pas oublier que nous n’avons pas encore atteint la perfection. Nous avons encore du travail à faire pour éduquer, former et purifier.

Qui éduque? Qui forme l’homme nouveau?

  1. Nous sommes des pays « religieux ». La religion nous a séparés dans le passé et jusqu’à maintenant dans certains cas et lieux. C’est pourquoi, comme déjà dit, les chefs religieux sont responsables de travailler à la nouvelle éducation. De fait, ou nous assurons une formation sincère qui dise clairement à chacun et chacune que tout croyant, même d’une autre religion, est son frère et sa sœur, et tous les citoyens sont frères et sœurs, ou bien nous disons: tous ne sont pas égaux, et « toi tu es meilleur que ton frère ». Telle était l’éducation religieuse jusqu’à maintenant, et elle était de ce fait terrain fertile pour les discordes, les guerres civiles, et l’oppression des autres, différents sous un aspect ou l’autre.

Nous avons besoin d’une nouvelle éducation religieuse et civile qui dise à chacun: tu es avant tout une personne humaine, créée par Dieu, et toute autre personne différente de toi, est comme toi créature de Dieu. Par la création nous sommes tous frères et sœurs. Et, dans la patrie, nous sommes tous égaux.

Nous avons besoin d’une éducation religieuse qui rappelle toujours le commandement du Christ: « Aimez vous les uns les autres » (cf. Jn 13,34) sans limites. Jésus ne dit pas: aimez vos frères les croyants comme vous; il dit: « Aimez-vous les uns les autres… aimez votre prochain comme vous-même » (cf. Jn 12,15; Gal 5,14). Le « prochain », c’est toute personne humaine, sans limites et sans classification.

Le chef religieux a un rôle déterminant dans cette nouvelle éducation. C’est lui, en effet, qui inspire les attitudes prises dans la maison, dans l’école et la société. L’éducation dans la famille a besoin de purification de toute attitude qui rejette l’autre différent dans sa religion, et des préjugés du passé, transmis de génération en génération. La famille doit passer par une phase de purification, de changement de mentalité et de comportements vis-à-vis de l’autre.

Dans la société entière, une conversion doit se faire. Les massacres, les guerres civiles et les cruautés de ces années passées qui ne sont pas encore terminées, tout cela nécessite purification, conversion et un passage de la mort à la vie.

Ceux qui tuent au nom de Dieu sont encore là, de même ceux qui éduquent des meurtriers éventuels en s’appuyant sur d’anciennes méthodes d’éducation. Ceux-là aussi doivent changer ce qui est en eux, afin de pouvoir acquérir un esprit nouveau, et éduquer des hommes et des femmes capables d’aimer et de respecter tous ceux qui sont différents par leur religion.

Nos écoles privées et publiques, nos universités, et les moyens de communication sont aussi responsables de la nouvelle éducation, qui dit à tous: nous sommes tous égaux en humanité et dans la dignité que Dieu nous a donnée. Les responsables des écoles privées et publiques doivent se poser la question: quel type de croyant, chrétien ou musulman ou druze, préparons-nous? Quel type de citoyen et quel avenir préparons-nous pour le pays? Sommes-nous en train de construire une société unie, compacte, malgré les différences de religions ou de partis politiques, ou sommes-nous en train de nourrir le confessionnalisme religieux ou politique et de préparer des guerres civiles, au nom de Dieu ou du parti politique?

Quel type de croyants voulons-nous? Nous voulons des croyants et des citoyens, forts et fraternels, n’opprimant personne et ne laissant personne les opprimer. Des croyants dont la force est dans leur capacité d’aimer, et de s’opposer à toute agression contre eux ou contre les autres.

 

Chapitre TROISIÈME

Que disons-nous aux responsables de la politique occidentale?

L’Occident et la destruction du Moyen-Orient.

  1. Nous commençons par distinguer entre les divers visages de l’Occident. En Occident, il y a des peuples bons et amis, des civilisations anciennes, de nombreuses réalisations humanitaires mondiales, et de multiples organisations de bienfaisance et de développement. Il y a aussi des Églises amies dont la charité nous parvient grâce à leur solidarité spirituelle et matérielle.

Mais dans ce même Occident (Europe et États-Unis d’Amérique), il y a aussi des responsables politiques, qui prennent des décisions qui concernent le Moyen-Orient et tous nos pays. Leurs critères sont leurs propres intérêts économiques et stratégiques aux dépens des intérêts de nos pays. Il est vrai que nos peuples exigent des réformes et un mode de vie meilleur, mais leurs attentes ne veulent certainement pas les destructions causées ces dernières années par les ingérences extérieures. L’être humain, et les peuples de la région, ont été sacrifiés et le sont encore, en vue d’assurer des intérêts étrangers. Presque tous nos pays sont passés par une phase de destruction due à la fois à des forces internes, mais aussi soutenues ou planifiées par des forces extérieures. Cela a commencé par la destruction de l’Iraq, puis de la Syrie, et l’affaiblissement de l’Égypte. La Jordanie et le Liban vivent sous menace permanente. Des conflits ou des alliances ont été créés au Yémen, au Bahreïn, en Arabie Saoudite et aux pays du Golfe. Et l’on est en train de préparer une guerre contre l’Iran. Voilà la réalité dans laquelle nous vivons actuellement.

Cette politique de destruction au Moyen-Orient, menée par l’Occident, est aussi la cause de la mort et de l’émigration forcée de millions de nos pays, y compris les chrétiens.

C’est suite à cette même politique que le terrorisme a fait son apparition et s’est établi dans nos pays, avant de se retourner contre le même Occident qui l’a fait naître.

Le terrorisme est né parce que les faiseurs de la politique en Occident ont eu recours à lui comme instrument efficace pour changer la face de l’Orient. Avec leurs alliés, dans la région, ils ont créé l’ Organisation État Islamique, ISIS, avec des matériaux humains locaux de chez nous, exploitant l’extrémisme religieux dans les esprits et une compréhension déformée de la religion. En d’autres mots, ils ont frappé les gens par leur propre religion. Avec ISIS le terrorisme religieux a atteint les limites extrêmes de la cruauté et de l’inhumanité.

Dans cette destruction qui a frappé l’Orient, plusieurs disent, dont les hommes politiques eux-mêmes en Occident : les extrémistes musulmans ont tué les chrétiens, et le christianisme en Orient touche à sa fin. Oui, l’image apparente et les faits semblent confirmer ce qu’ils disent. En effet, ce sont des extrémistes musulmans qui ont tué des chrétiens, mais aussi des musulmans (sunnites et chiites), des Yézidis, des Alaouites, des Druzes et tous ceux qui s’opposaient à eux. Mais les véritables meurtriers sont les preneurs de décision en Occident qui, avec leurs alliés dans la région, veulent créer un nouveau Moyen-Orient, conformément à leurs visions et à leurs intérêts.

Il est vrai que les peuples amis en Occident ont levé la voix et ont exprimé leur solidarité avec nous. Il en est de même des Églises. Mais pour les faiseurs de la politique du Moyen-Orient, nous, les chrétiens, nous n’existons pas. Pour eux, peu importe notre vie ou notre mort. C’est pourquoi le danger qui nous menace n’est pas le fait que Dieu ait voulu que nous, musulmans et chrétiens, vivions ensemble, dans nos pays. Le véritable danger est l’Occident politique, qui pense qu’il lui est permis, pour assurer ses intérêts, de détruire nos pays et de les réorganiser comme il lui plaît.

 

Appel

Israël et la paix dans la région

  1. Nous en appelons aux peuples, aux Églises et aux hommes et femmes de bonne volonté, en Occident, afin d’ouvrir les yeux pour voir la tragédie créée par leurs dirigeants dans nos pays, et qui continue, aujourd’hui encore, à semer la mort parmi nous. Ouvrez les yeux, comprenez ce qui se passe et corrigez le mal présent.

Nous nous adressons aux preneurs des décisions eux-mêmes. Nous vous demandons de changer votre vision et vos méthodes d’agir. Au lieu d’affaiblir et de détruire la région, traitez avec les peuples en respectant leur dignité et leur liberté, et prenez les chemins de la vie, non de la mort.

Quant à l’État d’Israël qui veut survivre et que l’Occident veut voir survivre parmi nous, sa survie dépend d’une seule simple condition: son existence ne peut pas se faire aux dépens de l’existence du peuple palestinien. L’amitié du peuple palestinien avec Israël est la porte de salut et de survie de l’État d’Israël, et une condition nécessaire pour une véritable paix dans la région. Et l’amitié du peuple palestinien n’est pas chose difficile. Elle demande de traiter avec lui sur la base de la justice, de l’égalité, des résolutions internationales et des « exigences » palestiniennes qui sont la moindre chose qu’un peuple puisse demander pour exister sur sa terre. Les Palestiniens ont reconnu l’État d’Israël; que ce dernier reconnaisse l’État palestinien sur les 22% qui restent de sa terre, y compris Jérusalem-Est.

Jérusalem, gardez-la Ville Sainte. N’en faites pas une ville de guerre. Elle est Ville Sainte pour trois religions et capitale pour deux peuples. Ceux qui aiment Jérusalem en font une ville de paix. Redonnez la paix à Jérusalem, à la Palestine, à Israël, et à toute la région.

Quant à nous, chrétiens, notre avenir dépend de l’avenir que vous décidez pour notre région. Notre sort est commun. La paix et la survie de nos peuples sera notre vie, et leur mort sera notre mort, comme cela s’est réalisé dans ces dernières années.

Vivre ensemble, chrétiens et musulmans, est une question qui nous regarde. Mais vous, preneurs de décision en Occident, n’exploitez plus l’extrémisme religieux pour semer la discorde entre les peuples de cette région, et n’incitez pas un peuple contre l’autre, comme c’est le cas aujourd’hui.

 

Conclusion

Comment nous, chrétiens du Moyen-Orient, voyons notre réalité.

  1. Les chrétiens d’Orient font partie intégrante de l’Orient avec toutes ses composantes. Nous ne sommes pas un peuple ou des restes de peuples à isoler et séparer dans nos pays. Chrétiens d’Orient, nous sommes aujourd’hui ce que sont nos pays, et ce que l’histoire a fait de nous durant 15 siècles, depuis le 8ème siècle. Nous sommes arabes, et nous sommes les descendants de multiples civilisations antiques, assyrienne, chaldéenne, syriaque, copte, arménienne et byzantine. Nous avons vécu et vivons encore dans les pays arabes, qui sont nos patries. Avec les musulmans, nous formons une seule patrie et une seule société.

Et comme nous l’avons déjà dit, vivre ensemble, musulmans et chrétiens, est la volonté de Dieu sur nous. Ensemble nous sommes une partie essentielle de la région et de sa destinée.

La question chrétienne, ou l’avenir des chrétiens, n’est donc pas seulement une question chrétienne, mais une question qui concerne toute la région, ses chrétiens, ses musulmans et ses druzes.

ISIS, introduit par l’Occident même, a bouleversé la situation et les visions. Il semble actuellement qu’ISIS ait fini le mandat qui lui a été assigné par ceux qui l’ont créé, car la destruction générale est désormais mission accomplie. ISIS est sur le point de disparaître sur le terrain. Mais il y a laissé des traces profondes dans les esprits. Il a laissé une tension quasi mystique qui pousse à combattre l’infidèle de toute façon possible, quel qu’il soit, et en tout lieu, chez nous comme en Occident qui l’a soutenu pour démolir l’Orient seulement. L’Occident se trouve être la victime de sa propre politique.

Chez nous, cet esprit, ne cesse de déstabiliser l’équilibre relatif réalisé le long des siècles. Après ISIS, musulmans et chrétiens dans la région, nous vivons un défi commun. Ensemble nous faisons face. Ensemble nous voyons la nécessité d’une nouvelle éducation humaine, civique et religieuse, fondée sur la foi en Dieu et que toute personne humaine est créature de Dieu.

A qui adressons-nous cette lettre?

  1. Nous adressons cette lettre à nos fidèles, à tous nos concitoyens, chrétiens, musulmans et druzes et à l’Occident politique et à Israël.

A nos fidèles nous redisons: restez fermes dans votre foi et dans vos patries. Contribuez à leur construction, que vous y restiez ou que vous soyez forcés de les quitter. Nous sommes un petit nombre. Mais le Christ nous dit toujours que nous sommes « sel, lumière et levain », et nous sommes une Église de martyrs. Croyez, aimez, comme Dieu aime, toute sa création. Soyez des croyants forts par votre amour, et des constructeurs de vos patries avec tous vos compatriotes, participant aux souffrances et aux sacrifices, pour y assurer la prospérité et la vie. Soyez le cœur dans vos pays, artisans de son histoire quelle que soit la cruauté des temps et des hommes.

A votre question: face à la mort, comment nous comporter? Nous répondons: nos martyrs ont donné leur vie pour la gloire de Dieu, et pour plus d’amour et d’humanité dans nos pays, devenues terres de mort et de meurtriers. Nos martyrs ont répandu leur sang afin que, par la force et le mérite de leur sang, les meurtriers, eux aussi, proches ou lointains et voilés, puissent retrouver leur humanité, comme Dieu les a créés, capables d’aimer, non de tuer.

Nos martyrs nous invitent enfin à écouter les paroles du Christ Rédempteur qui nous guide et nous confirme dans notre foi: « Dans le monde vous aurez à souffrir. Mais gardez courage! J’ai vaincu le monde… Que votre cœur ne se trouble ni ne s’effraie » (Jn 16,33; Jn 14,27).

A nous-mêmes, chrétiens, musulmans et druzes, nous répétons et confirmons que la volonté de Dieu sur nous est de vivre ensemble et de continuer à rechercher les meilleures voies de vivre ensemble, en ayant pleine conscience que nous sommes toujours sur la route et que la route est encore longue devant nous.

Nous invitons, chrétiens, musulmans et druzes, à porter chacun sa responsabilité dans la reconstruction de nos pays et dans la manière de traiter avec l’Occident, faisant face à la destruction et aux divisions que l’on veut nous imposer.

Nous répétons la nécessité de renouveler l’éducation religieuse, dans la famille, l’école et la paroisse, afin qu’elle forme des personnes ouvertes capables de voir Dieu et tous les enfants de Dieu, en toute religion.

Les chefs religieux musulmans et druzes ont aussi un rôle capital dans la reconstruction. Ils ont à œuvrer pour remédier aux causes de la pensée religieuse extrémiste et pour renouveler le discours religieux. Il est de leur devoir de procurer une éducation qui mène à former la personne humaine nouvelle et à promouvoir l’esprit de partage, d’amitié et de respect du pluralisme religieux et intellectuel.

Dans cette nouvelle phase de notre histoire, nous souhaitons voir réalisée la fraternité intra-musulmane dans les pays de l’islam. Nous en attendons un message commun adressé au monde arabe, musulman et chrétien, et à tout l’Occident. Un message qui porte une vision nouvelle et une vie nouvelle, requises par la nouvelle phase historique que nous vivons.

Ensemble, chrétiens, musulmans et druzes, il est temps de prendre en main notre destinée, de confirmer notre union et notre collaboration, face aux plans politiques externes et face à un passé qui connut le refus de l’autre, et auquel, malheureusement, certains restent attachés.

Il est temps de devenir des croyants et des citoyens qui voient Dieu et tous nos frères comme Dieu les voit, et les embrasse dans son amour et sa miséricorde.

A l’Occident politique et à Israël, nous redisons: il est possible de vivre ensemble. Si vous persistez dans les voies de la mort, la mort finira par nous engloutir tous, vous et nous.

Changez votre politique de destruction envers nos pays et envers nous chrétiens en Orient. Ayez des visions nouvelles, de vie et de respect pour les peuples de la région. La vie est possible. La paix est possible. Sortez de vos intérêts pour voir vous aussi Dieu qui vous a créés et vous appelle à respecter les peuples.

Enfin, la paix à Jérusalem et en Palestine-Israël, est la clef de la paix dans la région, et aussi pour l’Occident. La paix est possible, si les intentions sont sincères et s’il y a la volonté de la faire.

Nous avons besoin d’un Moyen-Orient nouveau, non fait par les autres, mais par nous-mêmes, et qui ne consiste pas à changer ou à déplacer les frontières ou les peuples, mais à renouveler les cœurs.

L’Orient sera renouvelé par ses peuples, sans que l’Occident leur impose ses plans. Un Orient fait par ses enfants, maîtres chez eux, musulmans, chrétiens et druzes. Tous égaux, personne n’imposant sa domination sur l’autre, au niveau religieux, politique ou militaire.

Dans ce projet, les chrétiens contribuent comme les autres à la nouvelle création, un monde nouveau, dans lequel abondent le bien, la raison, l’amour et la collaboration, entre tous les citoyens et avec les pays du monde.

Pour cela nous prions: « Seigneur, envoie ton Esprit et renouvelle la face de notre la terre » (cf. Ps 104,30), et change les cœurs des humains.

En ce Temps de la Pentecôte, nous demandons à Dieu, de nous remplir tous de son Esprit, et de nous inspirer tous, chrétiens, musulmans et druzes, ensemble avec l’Occident et Israël, de sorte que nous devenions tous des artisans de paix et des constructeurs d’une  humanité animée par l’amour, au Moyen-Orient et dans le monde entier.

“Seigneur,  envoie ton Esprit et renouvelle la face de notre la terre”

+ Ibrahim Isaac SIDRAK, Patriarche Copte Catholique et Président des Patriarches et des Évêques Catholiques en Egypte.

+ Mar Béchara Boutros Card. RAI, Patriarche d’Antioche et de tout l’Orient des Maronites.

+ Ignace Youssef III YOUNAN, Patriarche Syrien Catholique d’Antioche.

+ Joseph ABSI, Patriarche d’Antioche et de tout l’Orient, d’Alexandrie et de Jérusalem pour les Grecs Melkites Catholiques.

+ Mar Louis Raphaël Card. SAKO, Patriarche de Babylone pour les Chaldéens.

+ Grégoire Bédros XX, Patriarche Catholicos de Cilicie pour les Arméniens Catholiques.

+ William SHOMALI, Représentant de S.E. Mgr Pierbattista Pizzaballa, Administrateur Apostolique du Patriarcat Latin de Jérusalem.