Firas Abedrabbo, nouveau diacre du Patriarcat latin : « La vocation est un appel à l’aventure et à la conversion »

Par: Vivien Laguette - Publié le: June 18 Mon, 2018

Firas Abedrabbo, nouveau diacre du Patriarcat latin : « La vocation est un appel à l’aventure et à la conversion » Available in the following languages:

JERUSALEM – Le vendredi 15 juin 2018, le séminariste Firas Abedrabbo a été ordonné et est devenu diacre. Cinq jours avant son ordination, le bureau média du Patriarcat latin de Jérusalem est parti à sa rencontre pour lui poser quelques questions concernant sa préparation à cette nouvelle étape de sa vie et le sens de la vocation qu’il porte en lui. Interview.

Firas, d’ici quelques jours, tu seras ordonné diacre. Peux-tu, tout d’abord, nous dire qui tu es, très succinctement ?

Né en Palestine, à Jérusalem, le 14 septembre 1984, je fais partie d’une ancienne famille latine de Beit Jala. Mon père, Zarif Abedrabbo, est décédé en 2011. Ma mère, Gloria, vit toujours sur place. Mon seul frère, Farouq, a quatre ans de plus que moi et travaille au Qatar depuis plus de douze ans. Il est marié à Ghadeer et ils ont eu ensemble deux magnifiques petites filles.

Merci. Comment te prépares-tu à ta future ordination ?

Je me trouve en ce moment à l’Abbaye de Latroun avec les quatre autres candidats aux ordres sacrés. Nous nous y préparons à recevoir les ordinations. Le jour J, nous serons quatre nouveaux prêtres et un nouveau diacre pour le diocèse de Jérusalem, chacun d’entre nous ayant fait sa formation au Séminaire de Beit Jala. J’ai l’occasion de vivre ces cinq jours à Latroun précédant mon ordination dans la prière et l’intimité avec Dieu.

La vraie préparation, elle, a commencé avant même mon entrée au séminaire. Elle s’est déployée pendant mes années d’apprentissage, et continuera d’une autre manière après l’ordination. Je ne considère pas ce sacrement comme un aboutissement mais bien comme un nouveau départ. L’ordination ne devrait pas être le but ultime, puisqu’elle ne l’est pas ! C’est ainsi que je me prépare à la recevoir avec joie et espérance, les yeux fixés sur deux choses : le ministère ainsi que l’amour et la générosité en union avec Dieu.

Te sens-tu prêt ?

Est-ce que je me sens prêt ? Dans un certain sens, je me sens prêt à poser un « oui » définitif à l’appel de Dieu, à m’engager. Cela dit, personne ne peut prétendre être parfaitement « prêt » à l’ordination. Cela n’est pas la vie réelle. La réalité, c’est que nous sommes tous dans une constante croissance. Tant que je suis dans la « vie », je me trouve en chemin, et cela pour moi est une grande source de consolation, de joie et de paix. Je ne conçois pas ma vocation, ainsi que les joies et les paix qui en découlent, comme étant des choses « statiques ». Une chose acquise une fois pour toutes ? Non merci ! Et heureusement que ce n’est pas ainsi, ce serait bien trop ennuyeux !

Comment analyses-tu toutes ces années d’études et de discernement au séminaire ? 

Les années que j’ai passées au séminaire ont tout de même connu des hauts et des bas. Je rends grâce à Dieu pour le chemin parcouru qui aboutit aujourd’hui à cette nouvelle étape dans ma vie de chrétien. Le Séminaire fut aussi une période indispensable à la construction spirituelle, plus ou moins longue, conçu par l’Eglise comme un lieu de discernement et d’apprentissage.

J’ai connu deux périodes distinctes au Séminaire de Beit Jala. J’y suis entré pour la première fois en 2002, après mes études secondaires, et y suis resté pendant quatre années. Après cela, j’ai rejoint les moines de l’Abbaye bénédictine de la Dormition, située sur le Mont Sion à Jérusalem, pour vivre avec eux pendant six mois. J’ai ensuite travaillé pendant un semestre à l’Alliance française de Bethléem avant d’intégrer la faculté de droit de l’université de Birzeit où j’ai décroché ma licence en 2011. Eligible à une bourse du Consulat Général de France à Jérusalem, j’ai pu partir étudier deux années à Toulouse au terme desquelles j’ai obtenu un master de droit public. Revenu en Palestine en 2013, j’ai travaillé au bureau média du Patriarcat latin pour la partie arabe du site. Pendant ces neuf années d’études et de travail, j’ai toujours ressenti un appel de la part de Dieu, mais je ne me sentais pas encore prêt à y répondre avec totale liberté. C’est après une retraite spirituelle passée au monastère de l’Emmanuel à Bethléem que j’ai pris la décision de rejoindre le séminaire du Patriarcat latin.

Qu’en retiens-tu ?

Ces presque dix années de transition ont changé beaucoup de choses en moi et au Séminaire. L’essentiel ici n’est pas de comparer ces deux périodes, mais d’être conscient que leurs réalités communes – prières, études et amitiés – m’ont apporté joie et persévérance. Ce « trio » va me servir de base solide pour le reste de ma vie sacerdotale, dans les bons moments de la vie, comme dans les plus difficiles.

Le Seigneur a ses voies. Je Le glorifie pour tout l’amour, la miséricorde et la patience qu’Il m’a montrés pendant tout ce temps de maturation humaine. Je souhaite maintenant partager un peu de cela avec les personnes vers lesquelles je suis envoyé à travers le ministère auquel Il m’a appelé.

Qu’est-ce que pour toi la vocation ?

Pour moi, la vocation est un appel à l’aventure et à la conversion. Une manifestation concrète de la Miséricorde de Dieu dans ma vie d’homme faible et fragile. Un appel intérieur et constant à la sortie de soi pour apprendre à aimer en vérité. La vocation a bouleversé ma vie. Dieu, qui est Celui qui appelle, m’a fait marcher par des sentiers que je n’aurais jamais pu imaginer ou même spontanément vouloir choisir. J’ai l’impression que cette tension insinuée dans ma vie par cet appel du Seigneur, sert de moteur pour me pousser à avancer, malgré mon tempérament qui a tendance à rechercher davantage l’égoïste tranquillité. Elle m’aide, en tout cas, à comprendre concrètement le sens profond de cette phrase de Jésus, humainement incompréhensible : « celui qui voudra sauver sa vie la perdra, mais celui qui perdra sa vie à cause de moi et de l’Evangile la sauvera » (Marc 8, 35). On peut d’ailleurs dire la même chose de l’appel à vivre le mariage. L’amour se donne. Il n’y a pas d’autre manière pour dire « j’aime ».

Que comptes-tu faire et que va-t-il se passer une fois que tu seras devenu diacre ?

Pour le moment, je ne sais pas. Je ne sais toujours pas où je serai pendant le temps du diaconat (six mois à un an, ndlr). J’ai maintenant terminé mes études au Séminaire. J’aurai donc certainement un service ou plusieurs à rendre ici ou là. Cela peut très bien être au Séminaire comme ailleurs. Rien n’est encore officiellement annoncé, mais quel que soit le service que je serai amené à rendre, je ne pense en ce moment qu’à une seule chose : m’y investir de tout mon cœur, dans la joie, la foi, l’espérance et l’amour.

Comment vois-tu ta future vie de prêtre ? Comment la vivre ?

Concernant ma future vie de prêtre, je vais me baser sur des piliers solides et clairement identifiés : la prière, les études et l’amitié. Je m’appuierai sur ces piliers qui vont véritablement soutenir ma vie, peu importe ce qu’elle sera et où elle en sera.

En terme de mission ou d’apostolat, je donnerai une importance particulière au ministère de « l’écoute », que nous appelons généralement « accompagnement spirituel ». Cet accompagnement spirituel passera par la prière, l’enseignement, l’animation des retraites, les visites des familles et le fait que je m’évertuerai à être à la disposition des personnes les plus fragiles comme les malades, les pauvre, les jeunes qui se sentent perdus et exclus, etc. J’essaierai de collaborer avec des personnes investies dans ces actions pour pouvoir aider ces classes du mieux possible.

Comment choisit-on de devenir prêtre diocésain et non religieux ?

Si j’ai finalement choisi d’être prêtre diocésain au Patriarcat latin et non pas religieux, c’est d’abord par attachement à mon peuple – le peuple palestinien –, à la Terre Sainte et à l’Eglise locale que j’ai envie de servir. Le besoin de me sentir plus libre avec la possibilité de faire des choix personnels et d’en assumer la responsabilité a aussi été un critère très important dans ce choix. C’est un aspect essentiel dans ma construction psychologique et qui fait aujourd’hui part intégrante de ma personnalité.

J’ai une immense estime pour la vie religieuse, et plus particulièrement pour la vie monastique. Un évêque français m’a un jour cité cette phrase tirée des écrits de Saint-François de Sales : « Dieu peut permettre une fausse vocation pour en sauver la vraie ». C’est grâce à cette citation que j’ai compris que l’estime que je porte pour la vie religieuse et monastique, et qui nourrit en moi une vraie spiritualité, va être le dispositif par lequel Dieu va sauver ma vie de prêtre diocésain. Tout cela afin qu’Il m’épargne de tomber et de vivre dans cette mondanité, dans cette superficialité, qui découle des trois tentations majeures d’un prêtre diocésain – l’activisme, le cléricalisme et l’auto-référentialisme – qui pourraient m’isoler de mes « frères » au sens large du terme.

 

Photos : ©LPJ