Très chers frères et sœurs
Christ est ressuscité ! Alléluia !
Chaque jour de cette semaine sainte nous a vus réunis ici, autour du tombeau vide du Christ. Aujourd'hui, nous sommes de nouveau rassemblés pour enfin célébrer son triomphe sur la mort, et pour annoncer une fois de plus au monde entier que la mort et ses liens n'ont plus de pouvoir.
Mais j’aimerais maintenant que nous nous interrogions sur ce que nous avons compris et retenu des nombreux gestes significatifs qui nous ont accompagnés pendant ces derniers jours. Tout nous parle de fête, de célébration, tout nous parle de quelque chose de différent et de spécial, de joyeux et d'unique. Pâques à Jérusalem, c'est bien sûr aussi tout cela. Et aujourd’hui à Jérusalem, comme dans toute autre partie du monde, est placé devant notre conscience le Mystère par excellence, le noyau de notre foi : la Résurrection. L'apôtre Paul nous le rappelle : "Et si Christ n'est point ressuscité, notre prédication est donc vaine, et votre foi aussi est vaine" (1 Co 15, 14). Aujourd'hui, Jésus nous pose la même question que celle qu’il a posé à Marthe, que nous avons entendue il y a quelques jours : "Je suis la résurrection et la vie... crois-tu cela ?" (Jn 11, 25-26).
Qu'avons-nous fait de ce Mystère ? Dans quelle mesure la conscience que le Christ est ressuscité et vivant a-t-elle changé et déterminé notre existence ? Quelle part de ce que nous proclamons est une expérience vécue ?
Peut-être nous sommes-nous tellement habitués à l'idée de la résurrection que nous ne nous rendons plus compte d’à quel point la signification de ce tombeau vide est choquante. Pourtant, si nous y réfléchissons, c'est une folie, selon les normes humaines, de croire qu'il peut y avoir une résurrection.
Même aujourd'hui, les aréopages modernes ne manquent pas (cf. Ac 17,32) : il existe de nombreux contextes différents où nous, chrétiens, sommes accueillis et écoutés, où nos œuvres et nos services sont appréciés et désirés. Mais, dans un même temps, là où l'annonce du Christ ressuscité n'est ni comprise ni voulue, elle ne revêt aucun intérêt et peut même sembler ennuyeuse.
Et pourtant, c'est notre foi. C'est notre proclamation : "Il n'est point ici ; il est ressuscité, comme il l'avait dit. Venez, voyez le lieu où il était couché" (Mt 28,6).
C'est un Mystère que notre esprit ne peut comprendre ou expliquer. Il ne peut être accueilli et conservé dans nos cœurs qu'avec confiance et amour. "Alors l'autre disciple, qui était arrivé le premier au tombeau, entra aussi, il vit et il crut" (Jn 20, 8). Dans l'Evangile de Jean, "voir" signifie "faire l'expérience". C'est une vision qui implique tous les sens, pas seulement la vue. On voit aussi avec le cœur. Et, le cœur plein de confiance, pliant les genoux devant le mystère de ce tombeau vide, en communion avec l'évangéliste Marc, nous proclamons : "Je crois, Seigneur ! Aide-moi dans mon incrédulité" (Mc 9,24). Nous affirmons ici que, malgré nos limites et nos insécurités, oui, nous croyons !
Nous croyons que Pâques est l'intervention finale et définitive de Dieu dans notre histoire, la plus inattendue et la plus surprenante. Nous croyons qu'après nous avoir sauvés du néant, de l'esclavage, de l'exil, Dieu devait encore nous sauver d'un dernier ennemi : la mort, c'est-à-dire le péché. Nous croyons et nous proclamons aujourd'hui que la mort est tout lieu où Dieu est absent, où l'homme est laissé sans relation avec Lui : c'est le véritable échec de la vie. La vie, en effet, est vide de sens non pas lorsqu'il nous manque quelque chose ou lorsque nous éprouvons de la douleur, mais lorsque le Seigneur nous manque, car sans Lui nous sommes seuls. La mort se trouve là où Dieu n'est plus la Source, là où nous sommes incapables de Lui faire de la place.
Aujourd'hui, nous croyons et proclamons que Dieu le Père, dans le Christ ressuscité, a fait une place dans la vie de chacun d’entre nous, pour toujours. La résurrection est l'irruption de sa vie dans la nôtre. Aujourd’hui, nous proclamons que nous croyons cela. Que cette plénitude de relation qui existe entre le Père et le Fils, depuis ce matin de Pâques, est aussi pour nous. Qu'il n'y a aucun endroit dans notre existence, dans notre histoire, qui ne puisse potentiellement être la maison de Dieu, un lieu de rencontre avec Lui. Il n’existe aucun espace dans la vie de chacun de nous où Il ne puisse être présent.
Cette conscience ne nous rend pas exempts de l'expérience de l'épreuve, de la douleur, de l'obscurité. Tout cela demeure, mais il ne s’agit plus d’une condamnation : dans chacune de ces situations, la confiance que Dieu est avec nous, qu'Il peut en tirer la vie aussi, peut exister et perpétuer.
Pensons un instant à toutes les situations de mort qui nous entourent. Il suffit de regarder autour de nous pour trouver des raisons de nous inquiéter et de nous sentir accablés par elle, par ses victoires et ses aiguillons (cf. 1 Co 15, 55). Pensons aux conditions terribles que connaissent aujourd'hui de nombreuses régions du monde, telles que la Terre Sainte, l’Ukraine, le Yémen, certains pays d'Afrique et d'Asie... La vie que nous célébrons ici aujourd'hui est ailleurs méprisée et humiliée chaque jour avec cynisme et arrogance. Pensons aussi qu’en chacun de nous, dans nos relations, dans nos affections, dans nos communautés, dans notre vie quotidienne, nous ne manquons pas de faire l'expérience de la mort, de la douleur et de la solitude. Pensons aux drames que la pandémie a laissés derrière elle.
Ne confondons pas, cependant, la Résurrection avec la guérison, avec le retour à la vie normale, ni même avec la résolution de conflits, quel que soit leur nature. En définitive, la Résurrection n'est pas un symbole générique de paix et d'harmonie auquel nous pouvons nous référer. Il s’agit, comme nous l'avons dit, de l'irruption de la vie de Dieu dans la nôtre, une source du pardon, une réponse à notre solitude ; la prise de conscience du désir qu’a Dieu pour l'humanité, de ce désir d’unité et d’amour. Seule la rencontre avec le Christ ressuscité peut nous apporter la vraie résurrection, une vie pleine, qui nous fait tenir dans le monde avec la passion et la force de ceux libres et rachetés. Dans la deuxième lecture d'aujourd'hui, celle de la Lettre aux Colossiens, au v. 2, on trouve une expression qui, dans la version latine, se lit : quae sursum sunt sápite. Sápite ! “Ayez la saveur des choses célestes”. Cela signifie deux choses. D’abord, que nous devons effectivement être enracinés ici sur cette terre, y être immergés et pleinement incarnés, en ressentant un amour profond pour ce monde que Dieu nous a donné et pour l'homme qui l'habite. Mais cela signifie aussi que nous devons également faire l’expérience d’une saveur différente : celle de la Résurrection, de celui qui n'appartient pas à la mort mais à une liberté qui ne peut être retirée, de celui qui appartient au Père de la Vie, devant lequel la mort est impuissante.
Ne reculons donc pas et ne nous enfermons pas dans nos peurs. Ne laissons pas la mort et ses sujets nous effrayer. Ce serait nier par notre vie notre foi en la Résurrection !
Et ne nous limitons pas non plus à vénérer ce tombeau vide. "Allez dire aux disciples et à Pierre qu'Il vous précède..." (Mc 16,7). La Résurrection est l'annonce d'une joie nouvelle qui survient dans le monde et qui ne peut pas rester enfermée dans cet unique endroit. Au contraire, d’ici, elle doit aujourd'hui encore atteindre toute l’humanité, partout sur toute la terre.
D'ici, donc, de Jérusalem, devant ce tombeau vide, nous proclamons à cette Eglise et au monde entier l'annonce de la vraie paix, qui a surgi en ce lieu et que nous voulons proclamer dans tous les coins de la terre.
Joyeuses Pâques !
†Pierbattista Pizzaballa
Patriarche Latin de Jérusalem