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Veillée œcuménique de la Pentecôte 2023

Veillée œcuménique de la Pentecôte 2023

Chers frères et sœurs, 
Que le Seigneur vous donne la paix ! 

Le passage des Actes des Apôtres que nous avons entendu lors de la deuxième lecture n'exprime pas seulement le moment de la naissance de l'Église, une et indivisible ; il contient aussi une précieuse indication concernant non seulement l'identité de l'Église universelle, mais également notre identité en tant qu'Église de Jérusalem, notre vocation spécifique. 

Dans la ville de Jérusalem, il y avait déjà à l'époque des habitants issus de différentes nations, avec des langues et des cultures différentes. Il s'agit d'un signe de la pluralité des expressions existant dans le monde, voulue par Dieu, et première conséquence de la liberté humaine. Nous le constatons dès le début de la création : les premiers chapitres du livre de la Genèse nous montrent bien que l'humanité, issue d'Adam et d'Ève, a toujours été plurielle. C'est précisément pour cette raison que ces chapitres contiennent de nombreuses descriptions de peuples, de nations et de langues qui, bien que différents, sont néanmoins en harmonie les uns avec les autres, car unis par une même descendance. 

C'est dans le célèbre chapitre 11 de la Genèse, avec la "Tour de Babel", que les choses changent. Nous lisons que "Toute la terre avait une seule langue et les mêmes mots" (Gn 11:1). Babel symbolise peut-être la première idéologie de l'histoire, la première tentation de ce que nous appellerions aujourd'hui la "pensée unique". N'avoir qu'une seule langue, être uniforme et sans différences, n'est pas conforme au désir de Dieu pour l'homme, créé à Son image et à Sa ressemblance, et libre. À Babel, l'homme a voulu se faire comme Dieu - une tentation qui a toujours existé et qui revient sans cesse - et imposer un ordre unique à tous. C'est pourquoi Dieu a dit : "Allons! descendons, et là confondons leur langage, afin qu'ils n'entendent plus la langue, les uns des autres" (Gn 11:7). Et il en fut ainsi. 

Toutefois, lors de la Pentecôte, selon les Actes des Apôtres, nous constatons un phénomène différent, qui reflète la blessure ouverte à Babel : "la multitude s'assembla, et fut confondue de ce que chacun les entendait parler dans son propre langage." (Actes 2:6). Il y avait des "Parthes, Mèdes, Elamites, habitants de la Mésopotamie, de la Judée, de la Cappadoce, du Pont, de l'Asie, de la Phrygie, de la Pamphylie" (Ac 2:9, 11)... En d'autres termes, il y avait une longue liste de noms et de nations, de cultures différentes, comme dans les premiers chapitres de la Genèse, mais tous unis dans une compréhension mutuelle ("chacun les entendait parler dans son propre langage"). L'amour de Dieu qui a été versé dans nos cœurs, le feu de l'Esprit Saint qui nous a été donné, n'a pas seulement effacé les peurs qui nous enfermaient et nous paralysaient dans nos cénacles, ne nous a pas seulement purifiés de nos péchés, mais a aussi ouvert nos cœurs à une nouvelle unité, nous a rendus à nouveau capables de nous comprendre les uns les autres, sans pour autant effacer nos différentes origines, cultures et langues. Exactement comme avant Babel. 

C'est ainsi qu'est née l'Église, à Jérusalem, à la Pentecôte, lorsque chacun, tout en restant lui-même, est devenu partie intégrante de l'autre, l'a compris, s'est uni à lui pour célébrer "les merveilles de Dieu" (Ac 2:11). L'Église doit continuellement se référer à cet événement pour rester fidèle au mandat reçu et être le lieu de la rencontre entre le ciel et la terre, pour être l'expression visible du désir de Dieu pour toute l'humanité. 

Comme je l'ai dit au début, l'événement de la Pentecôte décrit aussi très bien la vocation spécifique de notre Église de Jérusalem, l'Église mère. Quand je dis "Église de Jérusalem", je n'entends pas ici une dénomination spécifique, mais toutes nos différentes appartenances qui, ensemble et seulement ensemble, constituent l'unique Église du Christ. 

Ici à Jérusalem, aujourd'hui, nous appartenons nous aussi à des cultures, des traditions, des rites et des identités très différentes. D'une certaine manière, nous sommes comme la Jérusalem des Actes des Apôtres. Les noms de nos nations, nos langues et nos différentes appartenances ont changé, mais nous avons conservé les mêmes expressions de diversité. Notre vocation spécifique, notre mission, ce à quoi nous, les habitants chrétiens de Jérusalem, sommes appelés, est de rendre visible non seulement notre diversité, mais aussi cette compréhension mutuelle, premier fruit du don de l'Esprit. Une compréhension qui est devenue difficile à cause de nos péchés, commis au cours des siècles et qui, dans le passé, nous ont même rendus hostiles les uns aux autres. 

La présence à Jérusalem d'églises, de rites et de charismes différents est donc constitutive de l'identité chrétienne de la ville sainte. Si nous étions tous pareils, nous serions Babel, et non Jérusalem. 

Néanmoins, il nous faut nous purifier, demander pardon pour nos divisions et travailler tous ensemble pour que, comme il y a deux mille ans, de l'Église mère de Jérusalem jaillisse à nouveau ce feu qui brûle toute incompréhension et toute peur, et nous fait sortir de nos cénacles pour annoncer les merveilles de Dieu. Si nous sommes réunis ici aujourd'hui, dans toute l'expression de nos différentes confessions, c'est précisément pour cette raison, pour exprimer notre désir et notre engagement à faire partie de l'Église Mère qui, depuis la Ville Sainte, continue d'annoncer au monde que le Christ est le Kyrios, et ce de différentes manières, langues et expressions, mais toujours unie par le même amour, par le même feu qui brûle dans les cœurs de toutes nos communautés. 

Le passage de l'Évangile, qui nous présente le don de l'Esprit Saint selon la version de l'apôtre Jean, nous offre d'autres éléments de réflexion. Après la résurrection et avec le don de l'Esprit, le cœur des disciples s'ouvre à une nouvelle compréhension des "merveilles de Dieu" : Jésus est présent au milieu d'eux d'une façon nouvelle et stable ("il était là au milieu d’eux", 20:19) ; et la présence du Seigneur crucifié et ressuscité donne une joie nouvelle ("les disciples furent remplis de joie en voyant le Seigneur", 20:20). Le don de l'Esprit est aussi le début d'une nouvelle création ("il souffla sur eux et il leur dit : 'Recevez l’Esprit Saint'", 20:22) : il confère la paix ("La paix soit avec vous", 20:19, 20) et le pardon des péchés ("À qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis", 20:23). 

Si les Actes des Apôtres nous appellent à la compréhension mutuelle et à l'unité dans la diversité, le passage de l'Évangile nous indique comment exprimer concrètement cette unité. 

Tout d'abord, en étant conscients d'être habités par la présence du Ressuscité. Cette présence se manifeste par la joie qui caractérise nos communautés : nous appartenons au Ressuscité, nous sommes donc une nouvelle création, nous nous sommes dépouillés du vieil homme et de ses œuvres, et nous ne pouvons donc plus nous laisser être tristes et découragés. 

Nous sommes également engagés dans la construction de la paix, qui est le premier don de l'Esprit. Dans cette ville qui est la nôtre, marquée par tant de douleur et de division, nous sommes l'Église du Christ, fidèle à notre vocation, lorsque nous sommes capables de construire des opportunités de paix et de rencontre, lorsque nous ne permettons pas au Diviseur de mettre fin à notre travail pour résoudre les conflits, même au prix d'un éternel recommencement. Notre but n'est pas d'atteindre un résultat, de réussir dans nos entreprises, mais simplement d'exprimer sans cesse dans nos œuvres l'amour de Dieu qui nous soutient et nous pousse à sortir de nous-mêmes, et que l'Esprit nous a inculqué. 

Il ne peut y avoir d'unité si nous ne sommes pas capables de pardonner, sans quoi il ne peut y avoir de justice. Telle est, en effet, notre expérience de personnes sauvées, de ceux qui, en rencontrant le Ressuscité, sont vraiment devenues une nouvelle création. 

Je ne sais pas si nous, l'Église de Jérusalem, sommes vraiment là où le Seigneur nous appelle à être ; si nous sommes vraiment fidèles à cette vocation particulière qui est la nôtre, si nous sommes capables de nous aimer les uns les autres de cette manière, si nous sommes vraiment disposés à travailler pour la paix et à construire une justice jamais séparée du pardon, si nous sommes une communauté joyeuse. 

Mais je sais avec certitude que ce feu qui brûlait dans le cœur des disciples il y a deux mille ans continue de brûler au sein de l'Église, et que, malgré nos péchés et nos infidélités, il ne cessera pas d'être, ici et dans le monde, une source de joie, de paix et de pardon. 

Bonne fête à vous tous, et merci d'avoir accepté d'être présents, ici, aujourd'hui, pour renforcer notre "unité différente". 

Bonne Pentecôte à tous ! 

†Pierbattista Pizzaballa 
Patriarche latin de Jérusalem