Conférence à Milan - 12 février 2022
Forcer ou donner
Introduction
Dans le cadre de la présente Conférence "Mondialità 2022", organisée par l'Archidiocèse de Milan et promue par la Pastorale Missionnaire, la Pastorale des Migrants et Caritas Ambrosiana, et au centre de laquelle vous avez placé le thème du pardon, il m'a été demandé de présenter quelques expériences et réflexions personnelles au regard du contexte israélo-palestinien, à la fois en ce qui concerne les chemins de réconciliation en construction et ceux obstrués ou pas encore entrepris.
La paix et la réconciliation en Terre Sainte semblent être d'une part des idéaux utopiques, loin de toute possibilité concrète de réalisation. D'un autre côté, ce sont des thèmes indispensables, qui attendent des solutions urgentes. Ce paradoxe est dû au fait que la Terre Sainte est le lieu crucial où s'entremêlent tensions ataviques, intérêts politiques, religions et différentes cultures. Le conflit en Terre Sainte ne se résume pas à la violence physique, aux interventions armées et aux kamikazes : il s'agit d'un modus pensandi et vivendi qui imprègne la culture et la mentalité de ses habitants. Pour ne donner qu'un exemple, dans les manuels de géographie palestiniens - une discipline apparemment neutre - Israël est absent des cartes. Tout comme dans les manuels israéliens, la Palestine n'existe pas. Par conséquent, l'aspect violent du conflit n'est que la partie émergée d'un iceberg aux dimensions très profondes.
Toutefois, je tiens à préciser d'emblée que la Terre Sainte n'est pas seulement une terre de conflits. C'est aussi le berceau de notre culture occidentale et, dans une large mesure, de la culture orientale. "Tous y sont nés", dit le psaume 87 (86) : nos racines sont en Terre sainte et ce qui s'y passe a des répercussions dans le reste du monde. Si, d'un côté, cette terre semble donc sans espoir, en raison de l'expérience séculaire des conflits, elle reste néanmoins le lieu qui nourrit l'espérance des juifs, des chrétiens et des musulmans. Cette contradiction n'est qu'apparente, car alors que les haines semblent ériger des clôtures impénétrables, la Terre Sainte demeure le lieu unique et fascinant où les trois religions monothéistes coexistent et sont "obligées" de se rencontrer.
1.0 Bref regard sur le texte biblique
Permettez-moi de commencer en portant un bref regard sur le texte biblique. Je n'ai pas l'intention de faire un traité biblique sur le pardon, mais je crois qu'il est nécessaire - avant d'entrer dans le cœur de ma proposition de réflexion - de jeter au moins un coup d'œil au texte sacré afin d'avoir une intuition, même très brève, une direction, sur la façon dont le pardon a été compris dans l'histoire de la révélation, qui reste encore aujourd'hui pour nous le point de référence fondamental pour notre réflexion.
Le pardon (סְלִיחָה slicha), dans l'Ancien Testament, est compris comme la décision de ne plus considérer le péché comme un obstacle dans une relation brisée (avec Dieu, entre les hommes). C'est un acte qui dépend de la volonté de celui qui pardonne et non d'une action ou d'un geste extérieur, et qui est initialement lié à une demande de pardon de la part du pécheur/coupable.
Le terme "pécheur" est littéralement exprimé comme "celui qui porte le péché/la culpabilité". Dans l'AT, l'une des expressions les plus anciennes pour désigner l'acte de pardonner est précisément "porter, prendre sur soi le péché d'un autre" (נושא חטא/עוון/ וכו׳). Le Dieu qui pardonne est le Dieu qui porte, qui prend sur lui le péché de celui qui l'a commis. Les traductions ne peuvent pas toujours rendre cette idée et traduisent souvent "prendre sur soi le péché" simplement par "pardonner".
(cf. Lv 7,18 ; Nb 9,13 : l'homme doit prendre sur lui son péché, il doit être considéré comme un pécheur ; ou Ex 34,7 : Dieu porte le péché de son peuple, c'est-à-dire qu'il pardonne à son peuple ; Gn 50,17 : les frères de Joseph lui demandent de " prendre sur lui " leur péché contre lui, c'est-à-dire de leur pardonner).
Pardonner, c'est-à-dire "prendre sur soi le péché d'autrui", ne signifie cependant pas assumer aussi les conséquences du mal commis (punition, châtiment), qui restent souvent à la charge du pécheur pardonné. Moïse, par exemple, est pardonné pour son manque de foi, mais n'entre pas en Terre promise, pas plus que le peuple incrédule (cf. Nb 13-14).
Il existe un autre mot pour le pardon que "slicha סליחה", et c'est "kapparah כָּפָּרָה". Contrairement au premier, kapparah כָּפָּרָה est lié non seulement à une volonté, mais aussi à un geste extérieur précis, souvent lié au culte. La kapparah est obtenue par des sacrifices au temple, par exemple, ou par un rituel similaire; il s'agit d'un acte généralement accompli par l'intermédiaire de médiateurs (prêtres, prophètes ou autres). Avec le temps, il peut devenir un simple geste extérieur, sans rapport avec une volonté sincère. La prédication des prophètes sera souvent contre cette forme d'hypocrisie.
Plus tard, après les échecs des monarchies israélites, après l'exil et la catastrophe politique nationale, une nouvelle compréhension du pardon émerge. Les échecs nationaux et personnels ont lentement amené à comprendre que le pardon ne peut être que le fruit de la gratuité de Dieu. L'homme seul ne peut être fidèle à l'alliance, et va d'un échec à l'autre : en Is 44,22, Dieu pardonne d'abord, sans que le peuple ne se repente et demande pardon, et supplie ensuite le pécheur de se repentir. Le pardon n'est plus un acte lié à une repentance préalable, mais un geste totalement gratuit, expression du libre arbitre de Dieu. [Dans le Livre des prophètes, Dieu pardonne de sa propre initiative, non pas en raison de la fidélité ou de la bonté du peuple, mais en raison de sa fidélité à l'Alliance et aux promesses : Is 33, 24 ; Jr 31, 33 ; 33, 8 ; 50, 20 ; Ez 16, 63 ; Mi 7, 18, etc.]
Il s'agit d'un passage important, qui prépare et introduit la parole de Jésus et la nouveauté du pardon chrétien, avec son cœur dans la croix. Jésus prend sur lui le péché de l'humanité, il est le rédempteur, qui nous libère aussi du péché et de ses conséquences. C'est la façon dont Dieu nous pardonne, une fois pour toutes.
En conclusion, le pardon n'est pas un effacement. Le péché, la blessure, reste, mais - dans un certain sens - il est assumé, partagé. Pardonner signifie assumer le péché de l'autre, décider que ce péché, cette faute, n'interrompt pas la relation. Mais cela nécessite toujours un chemin de compréhension. Dieu pardonne d'abord, comme nous l'avons vu, mais en même temps il demande aussi que nous revenions à lui (Is 44,22).
La Bible nous présente donc la forme la plus élevée du pardon, qui est aussi la forme la plus élevée de la justice.
Rendre justice, dans la Bible, signifie mettre les choses en ordre selon le plan de Dieu; dans la relation avec lui, dans les relations humaines, dans le soin de la création. L'homme ne peut jamais le faire seul. Seule la miséricorde de Dieu, son pardon, pourra, pour ainsi dire, "égaliser les scores" avec l'homme, c'est-à-dire rendre "justice".
Ce bref excursus, aussi bref soit-il, peut nous aider à nous concentrer sur notre thème et à délimiter les domaines de notre réflexion.
2.0 La dimension personnelle
"En réalité, le pardon est avant tout un choix personnel, une option du cœur qui va contre l'instinct spontané de rendre le mal pour le mal. Cette option trouve son élément de comparaison dans l'amour de Dieu, qui nous accueille malgré nos péchés, et son modèle suprême est le pardon du Christ qui a prié ainsi sur la Croix: « Père, pardonne-leur: ils ne savent pas ce qu'ils font » (Lc 23, 34)". (JPII, Message de paix 2002, n.8). Ce sont les mots du pape Jean-Paul II dans son message pour la Journée mondiale de la paix 2002. Avant d'évoquer la dimension publique ou politique du pardon, il faut en effet commencer par la dimension personnelle, qui en est le fondement. Le pape Jean-Paul, dans le même message, déclare : "le pardon réside dans le cœur de chacun avant d'être un fait social. C'est seulement dans la mesure où l'on proclame une éthique et une culture du pardon que l'on peut aussi espérer en une « politique du pardon », qui s'exprime dans des comportements sociaux et des institutions juridiques dans lesquels la justice elle-même puisse prendre un visage plus humain." (Ibid. 8).
Ces deux déclarations importantes sont déjà une indication de méthode et de contenu. Le pardon s'enracine dans l'amour de Dieu et exige, avant tout, un parcours personnel, un chemin de compréhension, d'"assomption", en référence à ce que nous venons de dire dans la partie sur le texte biblique. Il ne peut jamais se produire par inertie. Le mal commis ne peut être oublié, mais nécessite une volonté précise de le surmonter, qui est le fruit d'un désir clair et précis. Elle n'efface pas le mal commis, mais veut le surmonter pour un plus grand bien. Essayer d'oublier, attendre que le temps seul guérisse les blessures, ne pas assumer le mal commis, ne pas l'identifier, refuser de le regarder en face et de l'appeler par son nom, signifie faire du pardon un geste banal, qui ne guérit aucune blessure, ne change pas le cœur des gens et ne produit pas la paix.
Jean-Paul II, à l'approche du Jubilé de l'an 2000, a également voulu enclencher un processus de purification de la mémoire, qui a suscité de nombreuses controverses, mais qui a aussi constitué une intuition importante : pour regarder l'avenir avec espoir et dans la paix, il est nécessaire de ne pas oublier, c'est-à-dire de ne pas attendre que le problème se résolve de lui-même, mais d'entreprendre un processus de purification de la mémoire, c'est-à-dire du souvenir du mal commis et/ou subi, de réviser notre interprétation à la lumière de la conscience actuelle, puis de l'assumer et de la dépasser. Il faut une volonté précise, une action positive de rencontre avec le mal. Si les blessures ne sont pas guéries, assumées, traitées et partagées, elles resteront douloureuses même après des années, voire des siècles. Elles encouragent une attitude de victime et de colère, qui rend la réconciliation difficile, voire impossible. Pensons, par exemple, à notre relation avec les autres communautés religieuses non chrétiennes : combien il est difficile, aujourd'hui encore, d'avoir une relation sereine avec le judaïsme et l'islam ! Tant qu'il n'y aura pas une purification de la mémoire commune de la part de tous, tant qu'il n'y aura pas une reconnaissance mutuelle du mal commis et subi par les uns et les autres, tant qu'il n'y aura pas, en somme, une relecture des relations historiques, les blessures du passé continueront d'être un fardeau à porter sur les épaules et un critère d'interprétation des relations réciproques.
En Terre Sainte aujourd'hui encore, par exemple, très peu connaissent le chemin parcouru par l'Église à l'égard du judaïsme et de l'islam, et souvent, pour les gens, les chrétiens restent syonyme de croisades, de persécutions, d'inquisitions, etc.
Laissez-moi illustrer mon propos par une icône biblique. En Gn 37, Joseph, à la recherche de ses frères, erre dans la campagne où il rencontre un homme qui lui demande : "Que cherches-tu ? (v. 15). Il répond : "Je cherche mes frères" (v. 16). Ainsi s'ouvre l'histoire de Joseph - comme pour indiquer que tout homme a en lui un profond désir de fraternité.
Nous le savons; dans le cas de Joseph, ce désir ardent sera tragiquement ignoré. Joseph sera victime d'une terrible injustice : trahi et vendu par ses propres frères, il sera déporté, vendu comme esclave, fait prisonnier. La blessure infligée est grande. Cependant, après le long chemin de réconciliation que Joseph et ses frères ont dû parcourir, celui-ci prononce une belle phrase : "Je suis Joseph, votre frère, celui que vous avez vendu à destination de l’Egypte. 5 Maintenant, ne vous tourmentez pas et ne soyez pas fâchés contre vous-mêmes de m'avoir vendu pour que je sois conduit ici, car c'est pour vous sauver la vie que Dieu m'a envoyé ici avant vous (...). Ce n'est donc pas vous qui m'avez envoyé ici, c'est Dieu" (Gn 45, 4-5, 8).
Joseph, à la lumière de la foi, peut surmonter ses blessures. Loin de se sentir seulement victime, il affirme qu'en tout, même dans les injustices subies, il y a un plan de Dieu qui guide l'histoire pour le bien de ses élus. Il a pu faire une relecture de sa propre expérience tragique. Après ces mots, Joseph embrasse tous ses frères et pleure, puis commence à converser avec eux (v. 15), comme s'il voulait dire : c'est seulement maintenant que le vrai dialogue peut commencer, après avoir revu pas à pas sa propre complexe histoire !
(Ce n'est pas un hasard si Saint Jean XXIII (son deuxième nom de baptême était d'ailleurs "Joseph" !), alors qu'il recevait en audience une délégation de juifs le 17 octobre 1960, leur a adressé la phrase : "Je suis Joseph votre frère !". Le Pontife a voulu ouvrir une nouvelle ère de réconciliation et de redécouverte de la fraternité entre l'Église catholique et le peuple juif, après plus de mille six cents ans d'éloignement, d'inimitié et de persécution. Le chemin de la réconciliation ne se résout donc pas dans une "bonne" étreinte : il est souvent marqué par des blessures passées et présentes. Il ne s'agit pas d'une amnistie superficielle, mais d'assumer ses propres blessures et celles de l'autre).
2.1 Le pardon en tant que geste humain
"Le pardon a donc une racine et une mesure divines. Cela n'exclut toutefois pas que sa valeur puisse également être appréhendée à la lumière de la rationalité humaine. Tout d'abord, il y a l'expérience que l'être humain fait en lui-même lorsqu'il commet le mal. Il prend alors conscience de sa propre fragilité et désire que les autres soient indulgents envers lui... [Pourquoi, alors, ne pas faire aux autres ce que nous souhaitons pour nous-mêmes ? Chaque être humain nourrit en lui l'espoir de pouvoir commencer un nouveau voyage dans la vie et de ne pas rester éternellement prisonnier de ses propres erreurs et fautes. Il rêve de pouvoir à nouveau lever son regard vers l'avenir, de découvrir une perspective de confiance et d'engagement"] (Ibid, 8).
La foi a naturellement la capacité d'ouvrir le croyant à la relation, car elle l'ouvre à la rencontre avec Dieu, et cette rencontre devient alors naturellement aussi un regard sur l'autre.
Mais ce qui est également nécessaire, c'est une éducation humaine au pardon, une formation culturelle qui permette aux gens de regarder les événements non exclusivement à travers leurs propres blessures, qui impliquent un horizon limité et fermé. Cette éducation doit les aider à interpréter les événements, tant personnels que collectifs, dans une perspective d'avenir, qui tienne également compte du bien de la réalité humaine et sociale environnante, de la nécessité de réactiver la dynamique de la vie.
Le premier fruit du pardon est la libération des liens affectifs produits par le ressentiment et la vengeance, qui emprisonnent dans un cercle de douleur et de violence toute perspective de relation. Le pardon permet la guérison de l'âme humaine, réactive la dynamique de la vie et, je le répète, ouvre l'avenir.
Encore une fois, dans son magistral message de paix de 2002, écrit après le 11 septembre - le début d'une période terrible pour la communauté internationale et surtout pour les pays du Moyen-Orient - Jean-Paul II a affirmé que sans pardon, il ne peut y avoir ni justice ni paix : le pardon, la paix et la justice sont nécessaires les uns aux autres, dans un même temps.
2.2 Quelques exemples
En Terre Sainte, nous nous trouvons encore dans une situation de conflit usante, remplie de ressentiment et d'injustice. Elle a un impact décisif sur les dynamiques religieuses, sociales et politiques locales, enfermant chacun dans sa propre douleur et sa propre peur, rendant difficile l'écoute et la compréhension mutuelles.
Pourtant, il y a beaucoup de gens, Israéliens et Palestiniens, qui se rencontrent et qui, bien qu'ayant été touchés d'une manière ou d'une autre par le conflit, n'ont pas peur de poursuivre le dialogue et de croire en une coexistence pacifique. Je pense, par exemple, au Parents Circle-Families Forum (des parents ou proches de victimes du conflit, israéliens et palestiniens, qui ont décidé de s'unir afin d'activer des dynamiques de réconciliation et de rencontre, pour que d'autres ne souffrent pas comme ils ont souffert), ou aux Women Wage Peace ; ou encore à l'écrivain Grossman, qui a une forte influence.
Parmi les initiatives civiles, il y aussi le Centre interculturel de Jérusalem. Composé d'Israéliens et de Palestiniens, de juifs, de musulmans et de chrétiens, il s'efforce d'améliorer la vie des habitants de la ville, quelle que soit leur appartenance. Il vise à combler une lacune déplorable dans l'éducation des enfants en essayant de faire connaître les traditions religieuses de chaque communauté.
Il me faut aussi mentionner toutes les nombreuses écoles chrétiennes du territoire. C'est l'une des contributions significatives que la communauté chrétienne apporte à ses concitoyens. Des milliers d'étudiants passent par nos écoles, principalement des musulmans et des chrétiens. Cela peut paraître anodin, mais là où tout conduit à créer des distinctions entre les appartenances, là où les frontières identitaires sont si fortes, étudier et vivre ensemble, côte à côte, est une manière concrète d'apprendre à respecter les différences.
Nos écoles accueillent principalement des chrétiens et des musulmans pour des raisons linguistiques, car il s'agit d'arabophones. Mais il existe aussi des écoles bilingues, comme le réseau Hand-in-Hand, fondé par un musulman et un juif, où les élèves étudient en arabe et en hébreu, avec deux enseignants dans chaque classe.
Il existe également d'innombrables initiatives de formation et d'information organisées par diverses associations publiques et privées.
Il y a aussi des initiatives d'un autre genre, qui me tient à cœur. Il existe des groupes de jeunes et de moins jeunes qui ne veulent pas se limiter à des rencontres sociales, historiques et culturelles. Ils veulent comprendre les raisons et la foi de l'autre. Ils ne font pas de publicité et on ne sait rien d'eux publiquement, et ce sera peut-être encore le cas pendant longtemps, mais ils sont nombreux et en croissance constante. Il s'agit de juifs israéliens qui lisent et commentent l'Ancien Testament avec des chrétiens arabes, en commençant par les textes les moins exigeants pour aller jusqu'aux textes qui parlent de terre, d'héritage, de promesses, d'alliance - des thèmes sujets à différentes interprétations et au caractère politique évident. Mais nous lisons aussi le Nouveau Testament ensemble, nous parlons de Jésus, nous partageons notre connaissance de Lui.
Ce ne sont que quelques exemples, mais ils illustrent bien la difficulté de construire une mentalité ouverte à la réconciliation, qui exige une participation active et consciente et une grande volonté, seulement possible à partir d'une conscience et d'un désir sérieux de relation.
Il ne sera pas possible de surmonter les obstacles actuels qui se dressent sur la voie de la réconciliation, ni de planifier un avenir pacifique, si l'on n'a pas le courage de purifier sa lecture de cet énorme fardeau de douleur et d'injustice qui conditionne encore lourdement le présent et les choix qui sont souvent faits aujourd'hui. Il ne s'agit pas d'oublier, bien sûr. Cependant, il sera très difficile de construire un avenir serein si l'on place le fait d'être une victime à la base de son identité sociale et nationale, au lieu de fonder ses perspectives sur un espoir commun.
Cela soulève bien sûr la question suivante : comment repenser l'histoire et la mémoire, comment parler du pardon, tant que le présent est marqué par l'injustice et la douleur ?
C'est précisément sur ce point décisif que le dialogue interreligieux au Moyen-Orient ne peut manquer de se confronter, en apportant sa contribution irremplaçable au reste du monde. C'est un dialogue de plus en plus nécessaire, et le seul qui puisse sortir nos communautés religieuses et sociales respectives de l'impasse dans laquelle elles se trouvent aujourd'hui et les aider à se donner des perspectives d'espoir.
Une fois que la carapace de la peur et de la victimisation sera tombée, du moins en partie, il sera possible de savourer le goût d'être proche avec tout le monde. Pour faire tomber les murs et les peurs, nous devons apprendre à nous connaître et à nous rencontrer, en créant des occasions concrètes de dialogue. Mon expérience me dit que c'est possible, même dans le pays du conflit par excellence. Le courage de la paix est un défi encore plus grand et passionnant : il produit dans le cœur de l'homme un changement radical, le mieux indiqué par le mot teshuvà, "retour" : retour vers l'autre et vers Dieu. Partir à la recherche de son frère, surmonter les blessures et la victimisation, est un long voyage, où l'on peut "tomber dans la fosse", mais néanmoins un voyage guidé par Dieu, qui est capable de transformer le mal en bien, les blessures en occasions de réconciliation, le défiguré en Transfiguré.
3.0 La dimension politique
Dans un contexte personnel, le pardon, la paix et la justice peuvent facilement s'associer. Ce que je veux dire, c'est que, aussi difficile et exigeant que soit un parcours humain et religieux complexe, il n'implique cependant qu'une relation personnelle, ou du moins qu'un contexte limité, qui concerne uniquement le blessé et l'offenseur/lecoupable.
Au niveau social et politique, la dynamique est différente, les délais sont nécessairement plus longs et les parcours souvent bien plus complexes, car ils doivent tenir compte non pas d'une relation personnelle ou d'un contexte spécifique, mais d'une relation sociale. En d'autres termes, il faut prendre en considération les blessures collectives, la douleur de tous, les compréhensions nécessairement différentes des événements à l'origine de la douleur commune, les différents moments de compréhension... En bref, il n'est donc pas possible de transférer sic et simpliciter les dynamiques personnelles dans le contexte social et politique.
Il est donc nécessaire d'agir de manière profonde dans toutes les sphères - politique, religieuse et civile - en incluant en même temps les différents groupes d'agrégation et de formation de pensée, comme les écoles et les mass media. Tout simplement parce que les gens interagissent ensemble à tous ces niveaux, et le pardon, dans sa fonction de guérison, ne peut agir que s'il implique toutes les fibres de leurs êtres.
Le pardon, dans un contexte public et ouvert, impliquant toutes les ramifications de la vie civile, nécessite un parcours similaire à celui dont nous avons parlé précédemment, afin d'éviter le risque, ici encore plus grand, de la banalisation, dont les conséquences peuvent être imprévisibles. Il est clair que les temps et les dynamiques en deviennent plus complexes, car les relations entre les différentes sphères de la vie sociale et publique ne fonctionnent pas toujours. Et le temps des individus et des communautés n'est pas le même pour tous, les blessures laissées dans le cœur des gens ne nécessitent pas les mêmes soins pour tous.
Je pense, par exemple, à ce qui s'est passé en Colombie, pour m'éloigner un peu de la Terre Sainte. Après des années de conflit entre les forces gouvernementales et les FARC, qui ont fait des milliers de victimes et provoqué de très graves drames familiaux, le référendum d'il y a quelques années, qui aurait dû décréter la fin des hostilités et la réconciliation nationale, a échoué lamentablement. Il est arrivé trop vite, sans prise de responsabilité, sans préparation dans les différentes sphères de la vie publique, sans écoute réelle de la douleur encore présente. Il est apparu comme une banalisation et une fermeture superficielle de blessures qui saignaient encore. En Afrique du Sud, il a fallu des années de discussion, la création de commissions spéciales d'écoute... Bref, il n'était pas possible de clore une période douloureuse sans passer d'abord par un processus d'écoute et de guérison.
Il convient d'ajouter que l'absence de pardon a d'importantes conséquences humaines et économiques. Le refus de se réconcilier a un coût énorme, car il nécessite des investissements en armements, perturbe la vie des familles, empêche la croissance économique... Bref, il détruit à tous les niveaux de la vie civile.
La réconciliation, en revanche, peut devenir une source de croissance pour tous. Les énormes ressources utilisées en Terre Sainte pour maintenir le conflit se font au détriment du développement et de la croissance. En Israël, par exemple, le budget de la défense couvre plus de la moitié des dépenses de l'État. La sécurité est la première préoccupation des Israéliens. Tandis que la plupart des ressources limitées des Palestiniens sont utilisées pour la lutte politique, au détriment du développement territorial.
La politique et les institutions religieuses jouent un rôle important dans la formation de la conscience ouverte au pardon, mais elles ne peuvent pas non plus forcer le mouvement : la participation consciente de toutes les différentes réalités sociales de la communauté est indispensable, et cette dynamique est nécessairement lente et complexe. En Terre Sainte, on apprend vraiment à attendre, à respecter le temps de l'autre, sans le forcer. Il s'agit de savoir conserver clairvoyance et patience dans ces tensions relationnelles continues, faites de suspicion et en même temps de recherche. Les circonstances nous demandent sans cesse de donner un sens à ces attentes, de ne pas prétendre que nos temps doivent nécessairement être ceux des autres.
Le pardon ne peut être imposé ou exigé. Jamais. Il est toujours le résultat d'un acte de volonté, d'amour, d'un désir de rencontre, de vie. Le véritable "par-don" est toujours un don reçu et remis. C'est une option du cœur, qu'elle soit personnelle ou collective. Il ne peut s'agir d'un choix qui vient de l'extérieur. En Colombie, le pardon a été forcé, et ça n'a pas fonctionné. Ça ne peut jamais fonctionner. La politique et les religions, je le répète, ont un rôle fondamental à jouer dans l'éducation à la réconciliation, dans la création d'un contexte propice à une approche indulgente, mais elles ne peuvent pas non plus imposer la réconciliation. Il est nécessaire d'accorder du temps et du respect à la douleur de ceux qui souffrent, mais aussi de les aider à relire leur propre histoire, en permettant aux blessures de se cicatriser.
Plusieurs accords ont été signés entre Israéliens et Palestiniens. Je pense en particulier aux accords d'Oslo, qui étaient censés marquer le début de la cessation des hostilités entre les deux peuples et les amener à une résolution définitive sur leur avenir. Depuis des années, on parle de "deux peuples, deux États". Cette hypothèse est de moins en moins crédible et beaucoup considèrent qu'elle a échoué, tout comme ces accords. Tout simplement parce qu'il ne s'agissait que d'un accord théorique, qui supposait de résoudre des années de tragédie sans tenir compte de la quantité de blessures, de douleur, de ressentiment et de colère qui couvait encore. En outre, il n'a pas été tenu compte du contexte culturel et surtout religieux (en Terre Sainte, cependant, les deux sphères se mélangent souvent), qui parlait un langage exactement opposé (à commencer par les chefs religieux locaux) à celui des deux leaders politiques de l'époque, qui ont signé les accords d'Oslo en parlant de paix.
Les différentes religions, si elles sont comprises dans leur authenticité et leur vocation la plus profonde, sont porteuses de ressources pour la réconciliation et le rétablissement de la paix et ne sont presque jamais la cause unique ou principale des malentendus et des conflits, pas plus qu'elles ne constituent en elles-mêmes un facteur de risque à cet égard. Mais si elles deviennent fonctionnelles pour la lutte politique, comme cela arrive souvent en Terre Sainte, elles sont alors comme de l'essence jetée sur le feu.
Et je voudrais ici souligner une fois de plus combien un dialogue interreligieux sérieux est important et décisif. Lorsqu'il est sincère et qu'il aborde des questions relatives à son propre territoire et à ses communautés respectives, il crée une mentalité de rencontre et de respect mutuel, et forme le contexte nécessaire sur lequel les perspectives politiques ultérieures peuvent alors se fonder. Elle donne vie aux conditions pour que le pardon et la réconciliation ne soient pas de simples slogans académiques, mais une vie vécue.
Les différentes matrices culturelles et religieuses, qui ont une énorme influence sur ces processus, doivent être prises en compte. Le judaïsme, l'islam et le christianisme, par exemple, ont une approche différente de l'expérience du pardon, qui est souvent considéré comme une faiblesse. Dans le contexte moyen-oriental, l'idée de pardon est également liée aux dynamiques tribales et culturelles ancestrales, selon lesquelles le sang (également compris comme l'honneur et la dignité) doit être mesuré par le sang. Dans le contexte politique israélo-palestinien, en outre, le pardon est compris comme un synonyme de renoncement à la défense de ses droits. Je reviendrai sur ce point plus tard.
3.1 Les ingrédients du pardon collectif
L'idée que le pardon est un signe de faiblesse nous introduit à une autre considération importante sur le pardon, que je voudrais présenter avec une autre icône biblique. Dans Gen 32, Jacob se tient de nuit au gué de Jabbok. Lui, qui a vécu toute sa vie en s'adaptant astucieusement d'une situation à une autre, se retrouve maintenant chassé, vaincu. Il ne peut pas revenir en arrière, car sa ruse a fait de son oncle Laban un ennemi ; il ne peut pas traverser le fleuve, car sa ruse a fait de son frère Ésaü un ennemi : il est seul. Et cette même nuit, un inconnu mystérieux se bat avec lui. Jacob reconnaît en lui le visage de Dieu, à tel point que le lieu sera appelé "Penuèl", le "visage de Dieu". De cette lutte nocturne avec Dieu, Jacob sort boiteux, mais il confesse : "J'ai vu Dieu face à face !". (v. 31). Il sort donc vaincu mais victorieux ; boitant, mais s'appuyant sur Dieu. Pour cela, il reçoit un nouveau nom, indiqué par le Seigneur : Israël. Ce n'est qu'ainsi, en boitant, que Jacob peut aller à la rencontre de son frère et ennemi : Ésaü l'embrasse et tous deux pleurent. À ce moment-là, Jacob adresse à Ésaü une phrase très forte, parfois mal traduite et que je rends donc littéralement : "J'ai vu ton visage comme on voit le visage de Dieu" (Gn 33,10). Ce n'est que lorsque nous avons fait l'expérience de notre faiblesse et que, dans celle-ci, nous avons rencontré le visage de Dieu, que nous sommes prêts à aller à la rencontre de notre frère-ennemi. Si nous n'allons pas à la rencontre de l'autre en boitant, nous risquons de démarrer un autre conflit.
Le chemin de la réconciliation implique la défaite. Si Jacob ne marche pas vaincu et en boitant vers Ésaü, il ne pourra pas voir le visage de Dieu dans son visage. Sur le chemin de la réconciliation, on gagne souvent quand on perd et qu'on vit un échec. Derrière et à l'intérieur de chaque situation, il n'y a pas un ennemi, mais une personne avec les mêmes peurs que nous, faible comme Jacob, comme Ésaü.
Depuis des années, nous répétons des réflexions qui nous invitent à nous mettre "du côté de l'ennemi". Le cardinal Martini l'a dit et David Grossman l'a expliqué dans un livre portant d'ailleurs cet exact titre. Se mettre du côté de l'ennemi signifie avoir la volonté de comprendre l'autre : s'arrêter, prendre acte de la situation et avoir le courage de changer. La paix exige du courage. Se mettre en danger demande du courage. La justice exige du courage, tout comme la capacité de pardonner. Se mettre à la place de l'autre exige de la compréhension, de la compassion et une prise de responsabilité. La réconciliation et le pardon deviennent alors possibles. Mais il faut garder à l'esprit que le pardon est facilement compris comme une défaite, et que celui qui pardonne est considéré comme un perdant, alors que la vérité est tout le contraire : le pardon exige une grande force intérieure.
Tout cela me rappelle un autre passage biblique, cette fois du Nouveau Testament : le choix dramatique que le peuple doit faire entre Jésus et Barabbas. C'est un choix auquel chacun d'entre nous est confronté chaque jour. Pilate montre au peuple deux figures du Messie : Jésus et Barabbas. Barabbas, en araméen, signifie "fils de papa". C'est un titre qui imite la figure de Jésus, le véritable Bar-Abba, le Fils du Père qui appelle ce dernier "Abba". Barabbas était un militant, comme on dirait aujourd'hui : il a lutté pour la libération de son peuple. Il avait ses propres partisans, il parlait de justice, de liberté, de dignité pour son peuple : son messianisme était simple, concret, attrayant et tout sauf utopique. De l'autre côté, il y avait Jésus.
En tant que Patriarche latin de Jérusalem, je me suis trouvé, dès le début, dans une situation compliquée, à la fois à l'intérieur de l'Église et bien sûr à l'extérieur ; dans une situation de conflit plus ou moins armé. Comment être fidèle au Christ sans donner l'impression de ne pas défendre le troupeau qui m'est confié et en même temps rester defensor civitatis ? Qu'est-ce que cela signifie en pratique d'être du côté de Jésus et non de Barabbas ? Comment prêcher l'amour à nos ennemis sans donner l'impression de confirmer un récit contre un autre, Israélien contre Palestinien, ou vice versa ? Comment guérir les divisions avec des choix fermes et justes, mais sans créer davantage de divisions, et toujours avec miséricorde ? Comment être un évêque, demander l'obéissance, mais aussi tendre l'autre joue à ceux qui n'obéissent pas et fomentent le conflit ? Chaque jour, je suis moi aussi obligé de faire un choix : Jésus ou Barabbas.
Au Moyen-Orient, à Jérusalem comme à Alep, chaque chrétien, comme moi, est confronté à ce choix dramatique : Jésus ou Barabbas ? Mourir sur la croix ou se battre ?
Comment pouvez-vous parler de libération de l'esclavage du péché, et de pardon, lorsque votre peuple souffre sous la domination d'une autorité étrangère ? Cela ne signifierait-il pas céder à l'oppresseur ? Avant de parler de pardon, n'est-il pas nécessaire que justice soit faite ? Comment puis-je penser à pardonner à l'Israélien qui m'opprime alors que je suis opprimé ? Ne serait-ce pas comme lui donner l'avantage ? Comment peut-on parler d'une relation avec le "Père qui est aux cieux" lorsque votre enfant, votre père, votre mère sont tués, arrêtés et humiliés sous vos yeux ? Comment peut-on parler de joie dans l'Esprit alors que je suis privé de mes droits fondamentaux ? Après tout, Barabbas, ce n'est pas si mal. C'est, en effet, raisonnable.
Bien sûr, il faut comprendre que choisir le Christ n'est pas choisir l'indifférence au mal du monde. Il y a la mentalité de Barabbas, le fondamentalisme de ceux qui veulent faire une sorte de nouvelle croisade, mais il y a aussi l'indifférence d'un christianisme désincarné. Et pourtant, à la fin de la journée, le chrétien a choisi le Christ, et il est mort sur la croix, ruiné et vaincu. Comme je l'ai déjà dit, d'un point de vue strictement humain, le pardon ressemble à une défaite, du moins à court terme.
Face au mal, la tâche du chrétien est-elle donc simplement de souffrir, de mourir sur la croix, de se laisser transpercer, de se laisser vaincre ? N'a-t-il rien à dire face au drame qui se joue devant lui ? Certainement pas.
Pourtant, Jésus n'a pas libéré l'homme de telle ou telle oppression humaine. Jésus n'a résolu aucun des problèmes sociaux et politiques de son époque. Il n'a pas apporté la libération. Il a retrouvé dans sa racine la plus profonde la relation entre Dieu et l'homme et celle des hommes entre eux. Le chrétien part donc avant tout de cette conscience et de cette expérience, celle de quelqu'un qui est déjà libéré et à qui rien ni personne ne peut enlever cette liberté, pas même la mort, parce qu'il a fait l'expérience d'une Vie que personne ne peut lui enlever.
Face à la situation au Moyen-Orient, les chrétiens travaillent donc certainement comme tout le monde, car la justice, la liberté, la dignité, l'égalité entre les hommes, créés à l'image et à la ressemblance de Dieu, sont des attitudes dont ils ont fait l'expérience personnelle, qui leur appartiennent et qu'ils veulent rendre communes à tous. La différence réside dans l'attitude avec laquelle le chrétien évolue dans ce contexte. Ayant déjà été libéré, il n'a pas peur, il ne craint pas la mort. Sa lutte pour se libérer de situations concrètes n'a pas un caractère d'absolu, comme si toute sa vie en dépendant. Le chrétien veut et combat pour la justice et la dignité parce qu'elles appartiennent à l'harmonie qui nous est donnée, mais il ne se laisse pas bouleverser par le mal qui est devant lui, même s'il en souffre comme tout le monde.
Au Moyen-Orient, nous vivons des moments tragiques. Nous voyons des chrétiens qui fuient, mais aussi d'autres qui restent. Nous voyons la destruction de relations qui ont perduré pendant des siècles, mais nous savons que de nouvelles naîtront. Selon la mentalité de Barabbas, la stratégie chrétienne est un échec, elle ne mènera à rien. Il s'agit d'une stratégie de vœux pieux sans avenir. D'après ce point de vue, le christianisme au Moyen-Orient est impuissant, fini, écrasé. Le témoignage de tant de personnes, en revanche, surtout les petits, les pauvres, ceux qui n'ont rien, nous dit que beaucoup de choses sont détruites, mais que la graine reste et que, de là, la vie renaîtra à nouveau. Il est du devoir de chacun, au nom de la fraternité que le Christ nous a donnée, d'agir pour soutenir et aider, de se donner à son tour de la manière dont il peut et sait le faire, pour soutenir les nombreux petits du Moyen-Orient et du monde. Mais avec un regard racheté, plein de concret et de clarté face au mal, avec lequel nous ne pouvons pas converser, et en même temps fort et ferme dans la certitude que la vie qui nous a été donnée peut être enlevée.
Pour nous, chrétiens, Jésus ne doit donc pas prendre le visage de Barabbas : dans l'Église, la justice ne doit pas devenir du justicialisme, la transparence ne doit pas se transformer en mise au pilori, la justice de la Croix ne doit pas se diluer dans une justice mondaine.
Il y a une façon particulière d'être dans le conflit, une façon chrétienne d'y être.
Pour les deux parties du conflit, nous avons le devoir de témoigner de notre participation aux tragédies et aux espoirs de ces peuples. Ils doivent pouvoir compter sur le fait qu'un chrétien n'est jamais passif, indifférent, résigné. Notre vocation est de vivre le conflit d'une manière différente, en l'empêchant de pénétrer dans le cœur des gens, de brûler leur foi et leur espoir, de devenir un mode de pensée. Nier l'existence de l'autre, ou en avoir peur, savoir qu'il est là mais le rejeter : pour le chrétien, cela ne devrait pas être. Être à Jérusalem pour un chrétien signifie aussi "être sur la croix". Et cela signifie non seulement faire sienne la douleur des autres, mais aussi apprendre à pardonner, comme Jésus a pardonné au bon larron. Si nous voulons nous tenir sur la croix avec Jésus, nous sommes donc appelés à demander la grâce du pardon. Nous sommes appelés à désirer le salut pour tous, même pour les voleurs, même pour Barabbas. Pour moi, donc, être chrétien en Terre Sainte signifie défendre le caractère chrétien de la Terre Sainte : non seulement défendre les personnes (defensor civitatis) et les espaces physiques (garde des lieux saints et statu quo), mais avant tout défendre ce témoignage -martyre.
Conclusion
Dans mon contexte spécifique, qui peut être différent d'autres contextes, je me demande constamment quelle comportement adopter dans ces situations complexes. Je peux affirmer que nous devons nous méfier de ceux qui offrent des réponses certaines, claires et faciles. Les réponses faciles dans des contextes complexes et blessés comme le nôtre sont toujours fallacieuses.
Je crois que la réponse est qu'il faut souvent être là dans ce monde blessé, accepter que nous n'avons pas d'autre solution que d'être présent, d'être proche, d'être un voisin, sans prétendre enseigner le pardon, mais en essayant de partager. La seule façon d'enseigner le pardon est de le vivre et de le faire vivre. Un exercice académique, ou une décision politique peuvent la ratifier ou l'expliquer, mais ne précèdent jamais la décision de pardonner, qui est le fruit d'une option du cœur.
Parce que, soyons francs, en fin de compte, le "pardon" n'est rien d'autre qu'un synonyme d'"amour". Et seul un grand amour pour Dieu, pour ses proches, pour sa communauté, peut donner un fondement et un sens à un geste aussi authentiquement révolutionnaire que le pardon.
Les processus effectifs de paix durable sont avant tout des transformations artisanales opérées par les peuples, dans lesquelles chacun peut être un levier efficace par son mode de vie quotidien. Les grandes transformations ne se construisent pas à un bureau ou dans une étude. C'est pourquoi "chacun joue un rôle fondamental, dans un même projet créatif, pour écrire une nouvelle page d'histoire, une page pleine d'espoir, pleine de paix, pleine de réconciliation". Il existe une "architecture" de la paix, dans laquelle les différentes institutions de la société interviennent, chacune selon ses compétences, mais il existe aussi un "artisanat" de la paix qui nous concerne tous. [1]
[1] Francesco, Lettera Enciclica «Fratelli tutti» sulla fraternità e l’amicizia sociale, n. 231.